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sible la réalité, ou tout au moins l’apparence de l’indépendance nationale. C’est pour cela que, sans parler des principes, au point de vue des convenances pratiques, une politique prudente et avisée s’abstiendra toujours de mettre directement en question l’existence des gouvernemens à qui elle déclarera la guerre, et se ménagera toujours la commodité de traiter avec les gouvernemens de fait sans s’inquiéter de la légitimité de leur origine. Quand on fait la guerre, la première préoccupation que l’on doive avoir, si l’on ne veut pas se jeter dans une entreprise sans limite et sans issue pratique, c’est de conserver en face de soi un gouvernement avec qui l’on puisse traiter. Que si au contraire l’on se donne pour mission première de renverser le gouvernement existant du pays que l’on est obligé de combattre, au lieu d’une guerre positive ayant son terme dans son objet même, on entreprend une guerre de propagande et de conquête ; les charges de cette guerre ne s’arrêteront point au moment où l’on fera la paix avec le gouvernement que l’on aura substitué à celui que l’on aura renversé. Pour s’assurer les résultats de cette paix précaire, il faudra continuer longtemps à protéger et à défendre le gouvernement dont on aura favorisé la création. L’on se sera ainsi engagé dans une affaire d’où l’on ne pourra plus sortir à volonté, et pour un résultat incertain l’on assumera les lourdes charges d’une entreprise indéfinie.

L’oubli de ces considérations, la disproportion que nous avons laissée entre nos moyens et notre objet, nous ont forcés, dès le début de l’expédition, à faire paraître au premier plan cette intention hostile au gouvernement de Juarez, à laquelle nous aurions pu renoncer sans disgrâce, si nous avions su la conserver comme une pensée de derrière la tête. La convention de la Soledad, conséquence de l’insuffisance de nos prévisions, nous irrite au point de nous arracher notre secret. On désavoue cette convention, on retire à l’amiral Jurien la conduite diplomatique de l’affaire. La modération de l’amiral, sa prudence, son esprit élevé de conciliation et sa droiture connue et appréciée de tous les partis mexicains faisaient de lui un agent unique, celui qui pouvait faire pénétrer le plus efficacement, sous la forme la plus honorable pour eux, l’influence persuasive de la France parmi ces partis, celui en un mot qui pouvait le mieux empêcher la résistance du gouvernement de Juarez de se confondre dans un mouvement d’indépendance nationale. Et à quel moment un dépit irréfléchi nous prive-t-il des services de l’amiral ? C’est quand l’action commune des trois puissances vient de cesser au premier effort tenté pour la faire fonctionner, lorsque les émigrés reçus dans notre camp divulguent avec intempérance le moins avouable de nos desseins, lorsque M. de Saligny a déclaré qu’il ne voulait pas traiter avec Juarez, lorsque les commissaires anglais et espagnols, en se séparant de nous, nous ont découverts devant les Mexicains comme irréconciliablement hostiles à leur gouvernement et décidés à ne reconnaître leur indépendance qu’après le renversement du pouvoir actuel ! Et toute cette