Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 40.djvu/445

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

même de 800,000 hommes. Ce serait tout dire, s’il n’était juste d’ajouter encore que dans cette population la qualité correspond à la quantité. Que les erreurs de l’amirauté ne nous fassent pas croire que le génie de la mer a abandonné les Anglais. Ils l’exploitent aujourd’hui avec une énergie et avec des talens qui n’ont rien à envier aux temps passés et qui se sont même développés de nos jours avec plus de grandeur qu’à aucune époque peut-être. Laissons de côté pour un moment les défaillances de l’amirauté et voyons ce que la marine commerciale de l’Angleterre, à vapeur ou à voiles, a su faire[1]. Il serait bien difficile de dire en quoi elle n’a pas accompli de remarquables progrès, son matériel flottant est à la fois le plus considérable et le plus beau qui soit au monde. Les navires que MM. Green, Dunbar, M’Key et autres envoient à l’autre bout de la terre sont des œuvres admirables de construction et d’aménagement. Dans la pratique, ils ont résolu des problèmes à la solution desquels nos devanciers n’auraient peut-être jamais cru. En perfectionnant leurs dimensions et leur armement, en étudiant surtout les routes que la nature a préparées sur les océans, ils ont réussi à diminuer les traversées dans des proportions notables. Les voyages entre l’Inde et l’Europe, qui étaient, il y a trente ans encore, de cent cinquante et cent soixante jours, ne sont plus aujourd’hui que de quatre-vingt-dix jours en moyenne pour une foule de navires. Mettre plus de cent jours pour aller en Chine ou pour en revenir, c’est être un pauvre marcheur. Une campagne en Australie, qui demandait autrefois des années, s’accomplit maintenant, aller et retour, relâches comprises, en neuf ou dix mois, et cela en faisant le tour du monde, en passant, à l’aller, par le cap de Bonne-Espérance, au retour par le cap Horn.

Le développement qu’a pris la navigation a permis de créer des spécialités qui constituent des progrès immenses sur le passé. Au lieu du navire qui devait être propre à tous les services, il y a le charbonnier ta voiles ou à vapeur, la barque destinée au transport des bois, le cotton-ship des mers de l’Inde, le trois-mâts qui va chercher les thés de Shang-haï, le clipper qui rapporte l’or de Port-Melbourne, comme il y avait naguère encore, entre Calcutta, Bom-

  1. Qu’il nous soit permis à cette occasion de citer le propos d’un amiral de nos amis, qui tout récemment encore a visité l’Angleterre. C’est de la conversation familière, mais par cela même qu’elle n’était pas destinée au public, elle n’en aura qu’un mérite plus grand de sincérité. A un interlocuteur qui s’opiniâtrait à lui rappeler les erreurs de l’amirauté, notre amiral disait avec un accent aussi animé que convaincu : « Ah ! monsieur, laissons là, je vous prie, l’amirauté. C’est une vieille commère qui est en arrière de deux cents ans sur le plus modeste constructeur de son pays. Ce n’est pas à elle qu’il faut demander la clé de la puissance maritime de l’Angleterre. En France, la marine est dans l’administration; en Angleterre, elle est dans la nation. Cela fait une différence énorme, et dont nous ne saurions pas être trop jaloux. »