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l’éloignement instinctif et réciproque. Sorel, un des rares adversaires de l’Astrée, qu’il a parodiée sous le titre de Lysis ou le Berger extravagant, a donné la contre-partie du genre sentimental dans Francion, où les mauvaises mœurs du temps sont retracées ouvertement avec la rude franchise du vieil esprit gaulois. Attaquant sans vergogne tout ce qui a des faux semblans, trouvant des traits dignes de Molière contre les médecins, les moines, les pédans, les poètes de la cour et de la ville, dans cette liberté impudemment naïve, le libre-penseur de Sorel s’exerce sur toutes les matières, et souvent en dehors de la morale, avec un certain bon sens, des vues philosophiques même en avance d’un siècle. Sorel veut innover avec Rousseau pour l’éducation; il prétend, comme lui, que les mères allaitent leurs enfans. Avec Voltaire, il veut réformer la déclamation du théâtre et changer l’orthographe. Il a des idées neuves, prématurées peut-être ; mais on ne sent pas dans cet esprit satirique le sérieux de la pensée, le sens moral qui doit guider tout réformateur de la société. Il semble même se complaire dans les tableaux licencieux. Francion, que l’on a cru à tort l’original de Gil Blas, est un jeune gentilhomme libertin qui passe par une foule d’aventures, intitulées comiques, en compagnie d’un seigneur, sous les traits duquel l’auteur a peint Gaston d’Orléans, le lâche frère de Louis XIII, modèle de cette jeune noblesse, remuante et dissipée, pour laquelle il avait institué un conseil de vauriennerie. On comprend que, sous cette inspiration, le roman de Sorel ne représente que la mauvaise compagnie, et de curieux détails de mœurs ne sauraient en racheter la liberté cynique. Toutefois il serait à regretter qu’un esprit aussi observateur n’eût pas, dans sa franchise grossière, fait connaître la société sous cet aspect, qu’il est important d’étudier, ne fût-ce que pour se convaincre du bien que pouvait produire le genre honnête et délicat que l’on appelait précieux, et qui tentait avec succès la réforme des mœurs et du langage.

Il ne faut pas juger l’esprit des sociétés dans la période de leur décadence. Celui de l’hôtel de Rambouillet a dans son beau temps l’influence la plus salutaire. Il dégénère bientôt, il est vrai, et les imitations maladroites, les exagérations ridicules en font apparaître les côtés faibles. L’illustre coterie qui a donné la direction au mouvement général s’égare elle-même dans la voie qu’elle a ouverte, et cependant il faut reconnaître qu’elle a ramené par son exemple le goût de la politesse, du savoir-vivre, de la conversation facile et spirituelle, en même temps que l’élévation des sentimens. Le plus habile interprète de cette bonne compagnie. Mlle de Scudéry, résume dans ses grands romans toutes les qualités et tous les défauts de l’esprit précieux à ses différentes périodes.