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A travers les longueurs d’un récit interminable, diffus, apparaissent dans les ouvrages de Mlle de Scudéry, notamment dans Cyrus, des beautés très réelles, même pour nous, lecteurs blasés, qui voulons être touchés et intéressés par une action vive ou par des événemens dramatiques, disposés dans un certain art qui manque à ces estimables romans. Les sentimens y sont analysés avec une délicatesse psychologique qui touche au raffinement, les conversations sont rendues avec esprit et grâce, les portraits sont fins et ressemblans, les narrations ont de l’intérêt au point de vue de l’histoire. Malheureusement ces parties, belles dans le détail, ne sont pas animées de ce souffle créateur qui donne la vie aux inspirations des grands artistes. On sent qu’il y manque une certaine flamme dont la chaleur circule dans une composition, tandis que sa lumière en fait ressortir les reliefs et briller le coloris. Chez Mlle de Scudéry, le retour des mêmes formes, la phrase souvent languissante, quelque chose de guindé et de solennel, là où la situation demanderait du mouvement et de la variété, jettent une froideur mortelle sur cette lecture. Nous avons qualifié l’impression qu’elle nous laisse du nom triste et injurieux ô ennui, et il n’est pas d’œuvre qui se relève de cette fatale condamnation. Toutefois, pour être juste, il faudrait rendre quelque estime aux qualités réelles et solides de ces grands romans, et en particulier savoir gré à l’auteur du choix d’une forme si critiquée d’ailleurs, et à laquelle nous devons des renseignemens plus précieux encore depuis que nous étudions avec tant d’intérêt tout ce qui se rapporte au XVIIe siècle. Mlle de Scudéry est un historien fidèle et véridique, et sous le voile de la fiction comme sous les noms antiques dont il lui plaît de déguiser les événemens et les personnages de son temps, nous retrouvons la vie sociale et politique des règnes de Louis XIII et de Louis XIV, les héros de la fronde, les beaux esprits de l’hôtel de Rambouillet. Si nous voulons admettre quelques anachronismes, ne pas chercher Ecbatane ou Babylone dans ces descriptions, qui ne frappent pas nos sens comme le fait le moindre de ces fragmens enlevés récemment à la poussière des siècles, nous pouvons y reconnaître une autre Babylone, tout aussi intéressante pour nous, bien qu’elle ne soit pas celle de l’antiquaire et de l’archéologue.

Une appréciation lumineuse a dégagé les romans de Mlle de Scudéry des obscurités qui en rendaient la lecture difficile. Nous sommes moins exposés à nous égarer à travers ces événemens compliqués d’épisodes, maintenant que nous possédons presque aussi bien que les contemporains le secret qu’ils renferment dans leurs longs développemens. Ces caractères héroïques et tendres, sauf quelques embellissemens permis au romancier, sont ceux des personnages dont les