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voisinage menaçait de rouiller les instrumens de fer ou d’acier exposés dans une des galeries. De semaine en semaine, les Anglais, qui prennent à tout ce qui est national un intérêt extrême, lisaient avec ravissement dans les journaux combien de millions de briques, de tonnes de fonte et de mortier avait déjà dévorés le Léviathan en train de grandir. Une armée de trois mille à trois mille cinq cents ouvriers travaillait sans relâche. La plus grande difficulté fut de réunir les parties destinées à composer les dômes. Il fallut toute la science des architectes et des ingénieurs, associée à la puissance cyclopéenne des machines, pour agrafer entre elles ces monstrueuses pièces de fer destinées à soutenir et à encadrer les masses de verre. Avec tout cela, malgré les efforts surhumains et les sommes considérables que les Anglais ont dépensés dans cette énorme construction, l’édifice est très loin de présenter, surtout à l’extérieur, un modèle de beauté. Ces tristes murailles de brique jaune, ces fenêtres monotones, ces froides entrées sans ornemens, ces immenses cloches de verre posées sans motif sur un lourd entassement de formes incohérentes, en un mot tout le bâtiment donne plutôt l’idée d’un grand peuple que d’un peuple artiste.

Au moment où se construisait le palais de l’exposition, s’ouvrait tout à côté, le 6 juin 1861, un autre établissement qui était destiné à en être l’annexe et le corollaire ; je parle des nouveaux jardins de la Société d’Horticulture, Horticultural Society’s New-Gardens. Les Anglais, — et en cela du moins j’admire leur goût, — aiment à rapprocher la nature de toutes leurs œuvres d’art et de leurs grands travaux d’industrie. La Société d’Horticulture, fondée en 1804, avait eu des commencemens obscurs ; ce n’est guère qu’à partir de 1816, au moment où les loisirs de la paix reportaient les esprits vers les arts utiles, qu’elle fit des progrès considérables. Son but était celui-ci : substituer la science à la routine dans la pratique du jardinage. Des amateurs, membres de la Société d’Horticulture, voyagèrent aux États-Unis, au Canada, dans l’Inde, sur les bords du Zambèze, et jusque dans les régions les plus extrêmes de la baie d’Hudson pour recueillir des graines de plantes exotiques. Une circonstance s’opposait néanmoins au développement de cette institution, c’était le terrain même qu’elle occupait à Chiswich, et qui se trouvait trop éloigné de Londres pour attirer la foule. Depuis quelque temps, les fellows (membres agrégés de la société) cherchaient donc au centre de Londres un emplacement favorable sur lequel ils pourraient établir de nouveaux jardins, se proposant de conserver les anciens à Chiswich pour servir de pépinière. Les commissaires de l’exposition de 1851 venaient précisément d’acheter avec le surplus des fonds produits par cette entreprise un grand terrain connu sous le nom de Kensington