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Mais prenez donc garde, Duclos ; vous nous croyez aussi par trop honnêtes femmes ! Il est certain néanmoins qu’on rencontre à toutes les époques, avec des différences proportionnées à celles des époques mêmes, des femmes très vertueuses de fait et d’intention comme Marguerite d’Angoulême, douées aussi comme elle d’un esprit solide et sérieux, et qui sont capables en même temps de prendre goût à des gaillardises d’imagination qui dépassent plus ou moins la mesure imposée à leur sexe par les convenances de chaque époque. Si Mme de Sévigné par exemple, qui lisait avec tant de plaisir les contes de La Fontaine, s’était amusée à rédiger sous forme de nouvelles les anecdotes plus ou moins libres qu’elle raconte parfois dans ses lettres, on peut conjecturer, d’après la hardiesse de son langage, qu’elle eût composé un ouvrage d’un caractère assez analogue à celui de l’Heptaméron, quoique d’un tour plus délicat. Il est même probable qu’un des traits les plus saillans et les plus curieux du recueil de la reine de Navarre, qui consiste dans les sermons édifians dont l’auteur assaisonne des récits qui souvent le sont très peu, aurait été beaucoup moins marqué chez Mme de Sévigné, ce qui n’empêche pas cette personne charmante de passer à bon droit pour une des plus honnêtes femmes de son temps.

Non-seulement tous les hommes du XVIe siècle avaient de Marguerite d’Angoulême la même opinion, mais, à partir du siècle suivant, on ne citerait pas, je crois, un historien de quelque valeur, depuis Mézeray jusqu’à Sismondi, qui ait mis en question la moralité de cette princesse ; on pourrait même citer quelques écrivains qui ont précédé et dépassé M. Génin dans l’admiration sans bornes qu’il professait d’abord, pour ses vertus. Lémontey par exemple n’avait pas attendu son plaidoyer pour parler de Marguerite avec le plus vif enthousiasme. « L’envie, dit-il, qui assiège les princes, n’a pu nous transmettre, un seul fait défavorable à Marguerite de Valois. Pour indiquer une tache à son caractère, il faudrait l’inventer. Étrangère aux vices de sa mère, aux folies de son frère et aux travers de son temps, belle et reine sans arrogance, vertueuse sans pruderie, savante sans pédantisme, douce et bonne sans faiblesse, chaste au milieu d’une cour corrompue, supérieure et fidèle à ses deux maris, elle est sans contredit la princesse la plus aimable et la femme la plus parfaite, qui soit sortie de la maison royale de France. Je ne sache point de trône qu’elle n’eût embelli, et point de siècle qu’elle n’eût honoré[1]. »

Il y avait donc beaucoup d’exagération de la part du spirituel éditeur des premières lettres inédites de Marguerite d’Angoulême à

  1. Œuvres de Lémontey, t. III, p. 232.