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les systèmes, quand ils s’appuient sur l’étude et la réflexion. L’ouvrage de M. Amédée Thierry mériterait, pour cette partie et pour les autres, une étude critique étendue. Sans dépasser les limites d’un simple exposé tel que nous entendons le donner ici, nous pouvons dire qu’il a décrit avec une certitude fondée sur les meilleurs textes l’habile travail par lequel l’empire romain, cédant à un instinct ou plutôt à une mission providentielle, a su gagner ces peuples et les retenir par des attaches communes. Or l’histoire de ce travail grandiose n’est autre que celle de l’administration municipale et du gouvernement civil. Rome, en distribuant autour d’elle différens droits politiques, a fondé la future indépendance, a créé, pour ainsi parler, la personnalité des peuples destinés à figurer sur la scène moderne, en même temps qu’elle les rattachait à elle-même par une même sorte de liens ; les pouvoirs municipaux ont été les germes de ces individualités nouvelles, filles de Rome ; ils ont été les nœuds qui ont retenu les nations modernes fixées au sol pendant les premières et terribles tempêtes du moyen âge, les premières enveloppes enfin des institutions politiques modernes. Et quant à l’administration publique et au gouvernement purement civil, c’est de la Rome impériale aussi que la société européenne a reçu les plus directs enseignemens. L’auteur du Tableau de l’Empire a consacré un chapitre ingénieux aux transformations par lesquelles le droit local de la Rome primitive est devenu une formule générale applicable à toutes les sociétés. Il a montré comment, le droit primitif de l’ancienne aristocratie romaine devenant insuffisant en présence des nécessités qui découlaient de la conquête, on se vit amené à comparer les législations les plus considérables des nations conquises ; en les comparant, on reconnut certains traités analogues ou identiques dans ces législations diverses, et l’on tira peu à peu de ces règles communes un droit commun qui fut le droit des gens, jus gentium ; puis on s’élança vers des spéculations abstraites, l’élément importé de la philosophie grecque venant développer la faculté de l’abstraction, dont l’usage avait été jusque-là peu familier à l’esprit romain ; on s’éleva ainsi jusqu’au droit naturel, et c’est le résultat de tout ce travail intellectuel et moral qui se traduit dans les écrits des jurisconsultes romains en axiomes dignes du beau nom de raison écrite. L’empire fut la période pendant laquelle ces règles furent rédigées en même temps qu’appliquées.

Nous en avons assez dit peut-être pour faire comprendre dès à présent quel est le caractère particulier du volume que M. Amédée Thierry vient de publier. L’histoire classique y est considérée d’un point de vue nouveau ; l’auteur y a observé et suivi surtout les institutions issues de la démocratie romaine, et il est bien vrai que ces institutions, étudiées dans leurs origines, dans leur formation, dans leurs applications premières, présentent une idée exacte de la vie politique et morale que Rome a su faire naître et communiquer ensuite au reste du monde.


A. GEFFROY


ESSAI SUR LA SITUATION RUSSE, par M. N. Ogarof ; Londres, chez Trubner, 1862 ;


Depuis qu’une certaine lumière commence à se faire en Russie et que la situation de cet immense empire devient l’objet d’une attention croissante