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l’appât qui leur sont offerts. Nos facultés actives prendront, bien sûr, d’autant plus d’essor, qu’elles vont trouver chemin faisant plus d’assistance et finalement apercevoir plus de récompense au bout de la carrière. Ceci n’est pas moins que l’éducation, une chose qui ne se passe pas tout entière dans les écoles, une chose surtout qui ne consiste pas seulement en contraintes et en discipline, mais aussi bien en récompenses et en exaltations. Or prenez bien garde que l’état est éducateur dans toute la force du terme lorsqu’il accorde une prime à certains armemens maritimes, une subvention à certains transports transatlantiques ou mieux encore un monopole aux industries nationales. On en peut dire autant du concours et des dotations de l’état en fait de chemins de fer, de caisses d’épargne, de crédit foncier, de drainage, de secours mutuels. Il encourage, il développe par là dans une nation les qualités industrielles, commerciales, agricoles : il cultive ainsi parmi les individus un fonds de libéralité, d’énergie, de prévoyance, qui autrement serait peut-être resté improductif. Cela est juste dans un pays où l’encouragement officiel est prodigué à d’autres facultés, à celles de l’ordre politique, administratif et intellectuel, sous forme d’emplois publics et de mandats représentatifs. Comme ces emplois et ces mandats, outre qu’ils sont accessibles à tous, ne sont nullement gratuits, on voit à ce dernier trait qu’il n’y a pas là simplement un privilège aboli, une liberté rendue, une carrière ouverte, mais une incitation caractérisée : de quoi l’on se rend bien compte, quand on pense à cette société d’outre-Manche où le pouvoir politique et même quelquefois le pouvoir administratif est toute sa récompense à lui-même.

Je ne vois qu’un cas où la liberté suffise, celui des ouvrages et des exercices d’esprit. Si laisser faire et laisser passer est une triste ressource en matière économique, ce précepte (à part l’instruction primaire) suffit et excelle aux choses d’intelligence. L’esprit français n’en demande pas davantage. Il dirait même volontiers à ses gouvernans ce qu’Ajax disait à Jupiter : « Rends-nous le jour et combats contre nous ! » Partout ailleurs il ne faut pas regretter l’immixtion officielle. En France, où manque la passion d’agir, rien n’est fréquent comme de rencontrer des hommes d’une fortune inférieure à leurs facultés. N’avez-vous pas réfléchi quelquefois sur tant d’existences qui s’éteignent sans avoir montré la flamme d’esprit et de courage que vous leur connaissiez ? C’est qu’il leur a manqué quelqu’un pour les révéler à elles-mêmes, pour les tirer d’elles-mêmes et les produire au grand jour. Le gouvernement ne peut faire à l’égard de chacun cet office de père, de mentor ; mais il le peut à l’égard des divers ordres de facultés répandues dans un pays par l’assistance ou la récompense qui leur est offerte. J’appelle cela éducation,