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Restaient encore les princes de l’empire, surtout ces terribles voisins de Podiebrad, ducs de Saxe et margraves de Brandebourg, dont l’orgueil féodal, irrité par des espérances déçues, ne paraissait guère disposé à-fléchir. Heureusement pour le roi George, de graves événemens vinrent lui prêter main-forte. Quelques semaines après le couronnement de Prague, tous les princes allemands étaient en guerre les uns avec les autres pour une affaire de succession qui menaçait l’équilibre des territoires, et le roi de Bohême, étranger à toutes ces querelles, devenait par la force des choses l’arbitre des combattans. Ce parvenu qu’on méprisait hier, on recherche aujourd’hui son alliance. Le duc Albert de Saxe, son orgueilleux ennemi de la veille, est heureux de s’unir à lui en épousant sa fille. Le 11 novembre 1459, de grandes fêtes s’ouvrirent à Égra ; le roi et la reine de Bohême s’y étaient rendus avec leurs enfans, accompagnés des plus hauts barons, des plus nobles dames et de trois mille cavaliers ; les deux ducs de Saxe Albert et Guillaume, les deux margraves de Brandebourg Albert-Achille et Frédéric, le duc Otto de Bavière, l’archevêque de Magdebourg, sans compter tout un cortège de seigneurs, y étaient venus de leur côté avec trois mille cavaliers allemands. Quel était le but de ce rendez-vous solennel ? Pourquoi tous ces princes, les chefs les plus altiers de la féodalité impériale, venaient-ils saluer George de Podiebrad dans une petite ville de Bohême ? On célébrait les fiançailles de la fille de George avec le duc Albert de Saxe, et les fiançailles de son fils avec la fille du duc Guillaume. La fille de George n’avait que dix ans ; elle fut fiancée au duc Albert par l’archevêque de Magdebourg et conduite aussitôt dans sa nouvelle famille. L’Allemagne connaît son nom et ses vertus. Le souverain qui règne aujourd’hui sur la Saxe descend de cette princesse Zdéna, la fille de George, qui aurait pu mourir ignorée dans quelque château de Bohême, mais qui, portée sur un trône par une révolution, y a fait monter avec elle la religion, la charité, la grâce, et est devenue l’aïeule vénérée de l’une des premières maisons royales de l’Europe[1]. En même temps que la fille de George quittait son père et sa mère pour achever son éducation à Dresde, la fille du duc Guillaume de Saxe, Catherine, âgée de six ans, se séparait aussi de sa famille pour aller résider à Prague auprès de la reine de Bohême. Catherine était fiancée au plus jeune des fils du roi George, au prince Hynek, qui n’avait alors que sept ans ; elle devint si vite et si complètement tchèque, dit M. Palacky, que, cinq années après, âgée de onze ans à peine, elle avait oublié la langue allemande.

  1. On peut consulter sur ce point le curieux ouvrage de M. F.-A. de Langenn : Herzog Albrecht der Beherzte, Stammvater des königl. Hanses Sachsen. Leipzig 1838.