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à Rome, au milieu de cette population romaine si effervescente, si passionnée, si mobile, si inexpérimentée, nécessairement assez peu attachée encore à la dynastie et aux institutions nouvelles, cela lui faisait l’effet de transporter ce gouvernement sur la place publique et de l’établir à deux pas de l’émeute. L’esprit fécond de M. de Cavour entrevoyait mille combinaisons possibles et les méditait toutes. Une seule idée y était parfaitement arrêtée, dont ses successeurs ne se sont peut-être pas assez pénétrés : celle de ne risquer que l’indispensable, de n’agir en cette occurrence que par les voies de la persuasion et d’une influence toute morale. Ce n’est pas lui, je crois, qui aurait tout haut, à tout bout de champ, à chaque occasion, au nom de ses embarras intérieurs, sommé incessamment l’empereur des Français de lui abandonner sa capitale. D’abord il n’est prudent à aucun gouvernement de parler tant et si haut de ses embarras En politique et de cabinet à cabinet, le moyen d’obtenir l’objet qu’on désire n’est pas précisément de dire qu’on ne saurait s’en passer.

Cependant, à descendre au fond des choses, puisqu’ils arguent de leurs embarras, est-ce que les politiques italiens n’ont déjà pas compris qu’à propos de cette question romaine le gouvernement français a aussi ses difficultés, quoiqu’il les étale moins ? Ce n’est pas pour son plaisir qu’il s’éternise à Rome et qu’il garde sur les bras une aussi grosse affaire. Si demain il pouvait la résoudre sans mécontenter en France, quelque résolution qu’il adopte, des partis considérables avec lesquels il a intérêt à ne se point brouiller d’une manière irréparable, voici longtemps qu’en Italie on saurait à quoi s’en tenir sur le fond des desseins qui couvent aux Tuileries. En France, les Italiens ont pour eux presque tout le parti libéral et tout le parti révolutionnaire, contre eux une petite portion du parti libéral, et, à bien peu d’exceptions près, tout le clergé, un clergé dont ils ne doivent pas juger par le leur, un clergé infiniment plus ultra-montain de doctrine, — infiniment moins mêlé et par conséquent moins pénétrable aux sentimens de la population, un clergé qui se trompe, j’en conviens, qui s’alarme peut-être outre mesure, je le veux bien, mais enfin qui s’alarme sincèrement, vivement, au plus profond et au plus vif de sa conscience, de ce qui se passe en Italie, qui s’émeut des tribulations du saint-père, qui tremble pour sa personne, et encore plus, s’il est possible, pour cette autorité spirituelle dont il relève, et qui est son ancre de foi et de salut. C’est ce clergé, et les catholiques timorés ralliés derrière lui, qu’il importe aux hommes d’état italiens de rassurer complètement, car le jour où ils les auront rassurés, ils auront persuadé et déterminé l’empereur lui-même.