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de paraître prodigue ou trop agile. De là cette sobriété, excessive peut-être, dans l’ordonnance des détails décoratifs, cette application systématique à concentrer tout l’intérêt sur la statue ; mais de là aussi, dans ce morceau principal, la fermeté du style et l’exacte appropriation des moyens à l’effet qu’il s’agissait de produire.

La statue sculptée par M. Debay permet au regard d’en embrasser les contours sans hésitation ni temps d’arrêt. Pour nous servir d’un terme du métier, les diverses parties qui la composent « font bloc entre elles ; » cela veut dire qu’elles se relient de manière à ne morceler ni le modelé intérieur, ni la silhouette, par des saillies ou par des vides trop multipliés : mérite indispensable, mais assez rare aujourd’hui, même dans les travaux de sculpture purement monumentale, et que, — sans parler des statues dont on a peuplé le Louvre de Pierre Lescot et de Jean Goujon, — on ne rencontrerait pas toujours dans les groupes qui ornent les pavillons du nouveau Louvre. À cette plénitude résultant du jet et de la construction même de la figure s’ajoute, comme élément pathétique, la justesse de l’expression et du geste. Renversé sur les pavés où il était venu conjurer une guerre fratricide, frappé d’un coup qu’il sait mortel, l’archevêque semble disputer aux convulsions de la souffrance les restes de cette vie qui peut empêcher d’autres crimes et désarmer encore les meurtriers. Son bras droit se raidit dans un effort suprême pour élever, pour arborer, en face des fusils qu’on recharge, le rameau d’olivier, tandis que son bras gauche, fléchissant sous le poids du corps, maintient le crucifix en contact avec ce corps qui succombe, avec ce cœur qui va cesser de battre. Les jambes, que la mort envahit déjà, ont glissé l’une sur l’autre et s’allongent sous les plis de la soutane, dont l’effet pittoresque est rehaussé par l’extrémité flottante du manteau que soulève le bras droit. Quant aux traits du visage, ils résument et précisent avec une remarquable énergie ce combat entre la douleur physique et la volonté, ce double cri pour ainsi dire de l’âme et de la chair qu’ont fait pressentir l’attitude et les intentions générales. Les lèvres entr’ouvertes d’où s’échappe, en même temps que le dernier soupir, une supplication dernière, les muscles contractés du front et de la face, le regard tourné vers le ciel comme pour en appeler à lui des fureurs humaines et lui offrir avec le sang de la victime une prière pour les bourreaux, — tout exprime les angoisses de l’agonie aussi bien que l’ardente piété du mourant. Tout atteste ainsi l’émotion qu’a éprouvée l’artiste et la foi que lui a inspirée son sujet ; mais, dans cette partie du travail comme dans le reste, nul excès de zèle ne vient compromettre les droits du goût et agiter outre mesure ou surcharger ce qu’il n’importait pas moins de traduire avec le respect du beau qu’avec le sentiment du dramatique.

Nous le répétons, malgré la vie secrète et la passion qui l’animent, l’œuvre de M. Debay a des dehors rigoureusement conformes aux lois sévères de la sculpture. Rien n’y est donné au hasard de l’inspiration ou à la bonne fortune de la pratique ; partout l’art est présent, et un art qui raisonne et qui calcule. Peut-être même ces calculs, ces procédés presque scientifiques ne laissent-ils pas çà et là de s’accuser un peu trop. Il n’est pas difficile de s’apercevoir, par exemple, que les lignes de la figure ont été