Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 41.djvu/679

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

les autres, exprime par les mille nuances de la physionomie les notes les plus diverses de la surprise et de la joie à la vue de ce singulier théâtre des rues où le passant est à la fois acteur et spectateur. D’autres fois ces mêmes chars-à-bancs sont remplis d’enfans : ce sont alors des écoles que les maîtres conduisent à l’exposition ; les hourras, les mouchoirs agités, les petites mains qui saluent la foule, tout cela passe comme un bourdonnement d’abeilles à travers le tumulte et la tempête de la route. Une bonne pensée s’est développée dans ces derniers temps. Excitées sans doute par l’exemple de la reine, un assez grand nombre de personnes riches ont acheté des billets pour ouvrir aux garçons et aux filles des écoles de charité, souvent même aux enfans des workhouses (maisons de pauvres), l’entrée du palais de South-Kensington. Ces derniers vont généralement à pied, deux par deux, en uniforme plus ou moins bizarre, avec une bannière en tête portée victorieusement par un des enfans de l’école. Ce spectacle émeut généralement la foule, surtout les mères : n’est-il point touchant de voir les enfans de la misère participer, eux aussi, ne fût-ce que par les yeux, à toutes les richesses de l’industrie et à toutes les splendeurs de l’art étalées avec la pompe d’une fête ?

Une fois entrés dans le palais de l’exposition, ces groupes divers, qui sont souvent très considérables (car ils se composent au besoin d’un village, d’un nombreux atelier[1], d’une confrérie ou d’une grande pension), prennent certaines précautions pour que les membres ne se perdent point les uns les autres au milieu de l’océan des visiteurs. Les enfans des écoles de charité se reconnaissent aisément à leur costume ; mais les autres bandes adoptent volontiers un signe de ralliement, tel qu’un ruban d’une certaine couleur. « Elle doit être des nôtres, » disaient à côté de moi deux jeunes gens en regardant une jeune femme qui se promenait seule dans une des galeries : elle a la feuille. Je remarquai en effet à son chapeau une feuille de chêne que les deux inconnus portaient également à leur boutonnière. La partie de plaisir se complète d’ordinaire par un dîner servi, entre midi et deux heures, dans une des grandes salles du restaurant attaché à l’exposition. Le même privilège a été étendu, toujours par voie de souscriptions ou de dons volontaires, à plusieurs des écoles de charité ou des workhouses. C’est même en plein ail, dans une cour délicieusement parfumée par les souffles embaumés qui viennent des jardins de la Société d’agriculture, que les garçons et les filles prennent le plus souvent leur repas, après avoir

  1. Le chef d’une grande usine de Greenwich avait loué dernièrement à ses frais trois steamboats pour régaler ses ouvriers d’une partie de plaisir à l’exposition.