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tame, comme disent les Anglais eux-mêmes, et qui se laisse aisément pénétrer par le souffle de l’âme. D’un autre côté, l’intérieur, le home, qui tient tant de place dans le cœur de nos voisins, devait aussi tenter le pinceau des artistes britanniques. Pour eux, le drame dans une cuisine ou dans une chaumière est aussi émouvant que le drame dans un château ou sur la place publique. Le rayon que les saintes affections de famille jettent sur les devoirs du travail quotidien luit beaucoup plus pur et non moins grand que celui de la gloire à travers un champ de bataille. Cette recherche du simple et du vrai n’exclut point l’idéal ; il y a une religion dans le coin du feu, et ce n’est point à tort que les anciens y avaient placé les dieux de la maison, ces bons pénates, moins tonnans et moins majestueux que Jupiter, mais plus à portée de l’homme, plus protecteurs, plus semblables en un mot au Dieu de la Bible, qui regarde les petits et les humbles sous leur toit de chaume.

Tandis que la France étale un choix de tableaux pris tout au plus dans ces vingt dernières années, l’Angleterre déroule sous nos yeux toute l’histoire de sa peinture. Cette histoire, il est vrai, ne remonte point très haut ; on peut dire que la peinture est chez nos voisins une nouveauté. L’Italie, l’Espagne, la France, la Hollande, les Flandres brillaient déjà d’un éclat viril et montraient des chefs-d’œuvre qui n’ont point été surpassés, quand le génie des arts était encore dans la Grande-Bretagne une lumière cachée sous le boisseau. Les Anglais eux-mêmes avaient fini par croire qu’ils étaient impropres à manier le crayon et le pinceau. Le fait étant admis, des critiques avaient cherché à l’expliquer. Ils attribuaient l’absence de peintres en Angleterre au climat brumeux, au sol humide et à la nourriture substantielle, — surtout à cette boisson appelée porter, noire, disaient-ils, comme si on buvait de la nuit dans un verre, et qui engendre le spleen. Quoi qu’il en soit des causes qui ont retardé en Angleterre le développement de la peinture, il résulte de cette croissance tardive des conditions et une manière d’être toutes spéciales. L’école britannique est une des seules en Europe qui n’aient point subi l’influence du moyen âge, les sombres dogmes, les dramatiques terreurs de l’ordre religieux, les rêves accablans du mysticisme, ni l’adoration de la force convertie en instrument de règne. Est-ce un bien, est-ce un mal ? Je ne décide pas, je constate un fait. Toujours est-il que, libre de ces attaches avec le passé, n’ayant été façonnée par aucun moule traditionnel, la peinture en Angleterre put aisément trouver sa pente et se répandre dans la société présente, dans la vie. N’est-ce point à cette dernière circonstance qu’on peut rapporter le caractère individuel et tout moderne des œuvres d’art dans la Grande-Bretagne ? Cette tendance