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rejette la responsabilité de la continuation de la guerre, en donnant au sud, qui n’aura pas été mis en demeure, le bénéfice moral d’une manifestation européenne. Il est évident que l’ouverture dont parle la dépêche de M. Drouyn de Lhuys ne peut d’abord être faite qu’au gouvernement de Washington. Ce gouvernement est le seul sur le sol de l’ancienne Union avec lequel nous ayons des relations officielles ; nous ne pourrions arriver jusqu’au gouvernement de Richmond, lequel n’est point reconnu par nous, qu’avec l’autorisation et le laisser-passer de la Maison-Blanche. La négociation est donc au début même portée à Washington. Là, supposons que le président Lincoln et son secrétaire d’état consentent à ne pas voir dans l’ouverture la signification trop claire qui s’en dégage, supposons qu’eux aussi veuillent faire de la manœuvre diplomatique, qu’ils répondent : « Vous vous trompez sur l’état de nos ressources et de nos forces. La sécession n’a rien pris sur nous depuis l’origine de la guerre, tandis que nous avons gagné beaucoup sur son propre terrain. La continuation seule du blocus nous assure de sa défaits finale. Le président a promulgué un décret d’émancipation dans les états rebelles qui doit être appliqué à partir du 1er janvier, et dont il nous est permis également d’attendre de puissans effets. Cependant ce n’est pas nous qui avons commencé la guerre, et il ne nous en coûtera point de donner les premiers des gages de nos intentions pacifiques ; mais nous sommes sûrs que vous n’exigerez de nous rien qui soit incompatible avec notre honneur et avec nos intérêts. De notre part, accepter vos ouvertures, c’est retirer la proclamation du président et renoncer au blocus ; c’est faire au sud deux concessions immenses ; vous êtes trop expérimentés, trop sensés, trop justes pour avoir eu un seul instant la pensée d’attendre de nous de telles concessions sans rien nous offrir en échange ; vous savez que pour notre compte, dans l’état actuel des choses, nous ne pouvons accepter rien de moins que la rentrée des états du sud dans l’Union. Que nous apportez-vous donc ? » Que répliquerait à un tel langage la politique de la dépêche ? De deux choses l’une, ou elle s’en tiendrait à sa déclaration : les ouvertures n’impliquent de notre part aucun jugement sur l’issue des négociations,… nous ne nous croyons point appelés à préjuger la solution des difficultés, ou bien, allant au rebours de cette déclaration, elle entreprendrait de négocier activement à Richmond et à Washington sur les termes mêmes de la solution, dont les bases, véritables préliminaires de paix, devraient être arrêtées avant même la conclusion de l’armistice. Dans le second cas, on s’engagerait dans la confusion des affaires américaines, on serait bientôt amené à prendre parti pour les prétentions des uns contre celles des autres, on tomberait dans tous les embarras de l’immixtion diplomatique, traînant peut-être bientôt à leur suite les inconvéniens et les périls de l’intervention armée. Dans l’autre cas, la négociation expirerait aux premiers pourparlers, et pour se décharger du ridicule d’un avortement qu’il ne serait point pardonnable de n’avoir point prévu, on n’aurait d’autre ressource que d’accuser très injustement l’obs-