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et de fierté. Pourquoi une société en vue de pavage et d’éclairage deviendrait-elle tout à coup une association à fins générales, mettant ce qu’elle a d’organisation acquise au service de quelque nouveauté morale et politique? Cet être collectif de la commune, avec son gouvernement de boues et de lanternes, où prendrait-il les aspirations et les proportions d’un croyant, d’un grand citoyen, ou simplement d’un fanatique, d’un insurgé quelconque? Tant que cet être n’est pas inquiété à l’endroit de ses franchises particulières, des privilèges qu’il a payés ou arrachés, il n’aura garde de s’émouvoir. On sait que les communes d’Espagne s’insurgèrent violemment contre Charles-Quint, mais sur une prétention, sur une avanie fiscale qui violait leurs droits et leurs mœurs. Elles échouèrent à l’œuvre par parenthèse, et demeurèrent terrassées du coup qu’elles avaient reçu à Villalar.

Nuls ou annulés, tels s’offrent à nous dans l’histoire moderne les pouvoirs locaux. Sont-ils récens et ouverts par là aux idées nouvelles, la force qui vient du temps et d’une certaine consécration leur fait défaut. Sont-ils anciens, leur force appartient aux choses anciennes, n’a aucune raison du moins de se commettre au service des choses progressives : ils ont les limites intellectuelles de leur titre et de leur âge. Somme toute, ils ont peu de vie, peu d’action. La patrie, la famille, voilà des sociétés que la nature a solidement faites avec le ciment des instincts ; voilà des existences et presque des individualités! N’en cherchez pas d’autres. Ce que vous trouvez à mi-chemin de ces deux termes, dans les localités au moins, n’existe guère, et si par hasard la vie s’y trouvait ou s’y développait à forte dose, vous y verriez jaillir la souveraineté, des gouvernemens de pied en cap au lieu de simples édiles. C’est ce qui fit tant de villes indépendantes en Italie, en Flandre, sur les bords de la Baltique. Quand il se rencontre quelque part une population homogène ou fortement attachée à ces grands intérêts qui sont la matière des lois, elle ne laisse pas faire ses lois au-dessus d’elle, à distance; elle ne se contente pas de quelque autonomie, elle ne se borne pas à gouverner ses rues et ses édifices : elle entend être souveraine.

Mais il y a peut-être une raison autrement péremptoire pour qu’un lieu n’embrasse pas, ne soutienne pas de son pouvoir une cause générale, un grief de l’ordre politique ou religieux. Un lieu trouve à cela un obstacle qui n’est pas seulement la borne légale de son institution et l’humilité naturelle de ses vues, mais sa population, son personnel en quelque sorte. Cet être, si être il y a, est multiple : une localité, peuplée qu’elle est de toutes classes, de tous métiers, de tous intérêts, ne comporte pas un effort compacte et unanime, ou plutôt elle y est absolument impropre. Comme elle contient des partisans de tous les partis, elle ne peut être le centre,