Page:Revue des Deux Mondes - 1863 - tome 43.djvu/82

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

d’Aquin, Luther et Bossuet, Descartes et Spinoza, Rousseau et Voltaire, Chateaubriand, Joseph de Maistre, Kant, Strauss, aient ou n’aient pas écrit. N’est-ce pas la presse qui donne de l’esprit au genre humain ?

Ceux qui font rendre à cet instrument des sons dignes d’être écoutés ne peuvent donc se contenter de flatter l’oreille des oisifs et de leur procurer un agréable passe-temps. Ils ont charge d’âmes, et leur mission s’élève particulièrement lorsque les institutions ne les appellent point à participer au gouvernement de la société. Les livres prennent toute l’importance que perdent la tribune et les journaux dans la diminution de leur liberté. Les écrivains doivent se regarder alors comme des instituteurs publics, comme des magistrats volontaires. Si l’art d’écrire est dans un plus intime accord avec la pensée que tous les autres arts, il doit donner à ceux qui l’exercent, avec une influence plus directe, une responsabilité plus grande. En contribuant à la liberté, à la sagesse et à la gloire de leurs concitoyens, ils sont aussi à leur manière des défenseurs de la patrie.

Il est vrai qu’ici l’on nous arrête, et en acceptant le devoir on dispute sur l’intérêt de cette même patrie, et l’on nous demande de justifier de notre manière de le définir. Autrefois nous répondions sans hésiter : C’est le triomphe des principes de la révolution française par la liberté dans l’ordre. La même réponse est encore sur nos lèvres ; mais, il faut bien le savoir, cette réponse contient un mot redouté, un mot devenu dans ce siècle la parole magique à laquelle rien ne résiste. Ce mot exalte, ce mot abat ; il est la séduction, il est l’épouvante, il est l’une et l’autre ensemble, et il a été dans la même vie proféré souvent par la même bouche sous l’empire des sentimens les plus contraires : c’est le mot « révolution. » Avec ce mot, nous avons vu et l’on verra plus d’une fois encore soulever d’enthousiasme ou d’effroi la mobilité des nations ; il plaît à ceux qui croient qu’une révolution conduit à la liberté, il trouble ceux qui pensent que la liberté conduit à des révolutions nouvelles, et c’est là le fantôme terrible qui poursuit sans cesse les imaginations alarmées. Celui qui les délivrerait de cette obsession rétablirait la concorde parmi nous, et avec elle la sécurité. Quand une nation cesse de craindre, elle peut conjurer tous les périls.

La révolution française aura beaucoup de peine à se guérir du mal qu’elle s’est fait. Cela est juste peut-être ; mais dure est l’expiation, et les fautes ont souvent été moins punies. Je ne sais pas d’excuse pour ce qu’on est convenu d’appeler les crimes de la révolution. Un consciencieux écrivain, M. Mortimer-Ternaux, s’est imposé la tâche d’en retracer le sombre et fidèle tableau. Son œuvre est