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mandant de m’accompagner. C’est le seul partisan que j’aie trouvé jusqu’ici… » il en est ainsi à chaque page. « Nous avons rencontré un paysan de Taverna qui partait avec deux mules chargées de bois de construction. Après l’avoir interrogé, je lui ai donné de l’argent pour qu’il nous portât des provisions. Nous l’avons attendu inutilement : au lieu du pain et du vin que je lui avais payés très cher, il nous a envoyé une colonne de Piémontais… — On me dit qu’un détachement des nôtres est débarqué à Bossano : c’est une illusion. » Borgès, en pénétrant dans la Basilicate, rencontre un autre chef de bande, Crocco, et il n’est pas plus heureux avec lui qu’avec Mittica. Crocco ne veut d’aucune organisation, parce que s’il y en avait une et si on faisait une vraie campagne, il ne serait plus rien, tandis qu’il est tout-puissant dans les bois que personne ne connaît mieux que lui. Le partisan espagnol note en passant : « Scène dégoûtante ! Crocco réunit ses anciens compagnons de vol ; les autres soldats sont désarmés violemment. On leur prend leurs fusils. Quelques soldats fuient, d’autres se plaignent : ils demandent à servir pour un peu de pain, même sans solde, disent-ils ; mais ces assassins sont inexorables… »

De guerre lasse, il ne reste plus à Borgès qu’à se frayer un chemin jusqu’à la frontière des états du pape pour revenir à Rome, et il marche, désillusionné, ayant à supporter la misère, le dénûment, la faim, trop heureux quand il a un peu de pain. Il avait encore avec lui vingt-quatre hommes partageant ses privations. Il touchait au but après avoir traversé les Calabres et les Abruzzes, après avoir dormi la nuit dans la neige, enduré toutes les souffrances, lorsqu’il fut pris et fusillé. Il mourut intrépidement, louant en vrai soldat la belle attitude des bersaglieri qui étaient chargés de lui donner la mort et répétant : « J’allais dire au roi François II qu’il n’y a que des misérables et des scélérats pour le défendre, et que Crocco est un sacripant. » Un autre officier napolitain, qui avait accompagné Borgès à son débarquement en Calabre et qui l’avait quitté dès les premiers jours, avait déjà déclaré de son côté qu’il avait espéré rencontrer une armée royaliste, qu’il n’avait trouvé qu’une bande de brigands, et que de dégoût il était parti. Que veux-je conclure de ces aveux d’hommes sincères dont l’un a expié de sa vie une entreprise aventureuse ? C’est que le brigandage napolitain, tout dangereux qu’il soit, n’est point en réalité une guerre civile soutenue au nom d’un principe politique, qu’il n’est que le fruit amer et sanglant de cet état social que je dépeignais, que la masse du pays est restée sensée après tout, accessible peut-être au malaise, au mécontentement quand on ne ménage pas assez ses susceptibilités, son amour-propre, mais se refusant au fond à tout