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plus élevée peut-être, reculent moins devant les séparations douloureuses et fécondes, devant les sacrifices nécessaires.

Les Grecs sont très peu nombreux à Iusgat : à peine une vingtaine de familles grecques sont-elles établies à poste fixe dans le pays ; il y a en outre un certain nombre de célibataires, des négocians, des boutiquiers ou des gens de métier, qui viennent de Kaisa-rieh, d’Amassia ou de Tokat passer ici quelques années. Nous trouvons pourtant encore à Iusgat des exemples frappans de l’industrie des Grecs et de leur esprit public, du parti qu’ils tirent de l’association. Les quelques familles résidentes et les étrangers qui se succèdent dans la ville ont bâti au milieu d’une grande cour carrée une église neuve, en pierre de taille, qui leur a coûté 170,000 piastres. Dans un coin de la cour, on a établi l’école, dans un autre le cimetière, dans un troisième l’hôpital. Il y a de la place pour une quinzaine de malades. Le jeune médecin grec qui me montre tout cela, un Kaisariote élève de la faculté d’Athènes, donne ses soins gratis, et la nation paie les médicamens. On trouve cependant que l’hôpital est mal exposé et manque d’air. On va l’établir dans un local mieux choisi, dans un grand bâtiment qui est en face de l’église, hors de l’enceinte, et là où est maintenant l’hôpital, on logera les deux pappas qui desservent l’église.

Le maître d’école est un pauvre hère qui ne sait pas grand’chose. Les enfans font pourtant des progrès. Ainsi il y en a plusieurs qui comprennent assez bien la langue vulgaire, deux qui commencent à lire et à traduire le grec littéral. Chose curieuse, comme ici le grec n’est pas parlé, il n’y a pour ainsi dire pas de différence pour ces enfans entre le grec ancien et le grec moderne ; ils traduisent le texte de saint Basile en turc assez facilement, et ne peuvent dire en grec moderne la signification de tel mot de la langue ancienne, qui est maintenant complètement hors d’usage, dans la langue vulgaire.

Après cette visite à l’école et à l’hôpital grecs, qui nous fournit l’occasion d’admirer une fois de plus l’énergique activité et les efforts persévérans de cette race, je vais faire connaissance avec Riswan-Pacha, vali ou gouverneur-général de l’une des plus vastes provinces de l’Anatolie. C’est un homme d’une quarantaine d’années, un Bosniaque. À son accent et surtout à ses traits, on reconnaît tout d’abord qu’il n’est pas de sang turc. Ses cheveux clairs, sa tête étroite et longue, son nez mince et légèrement aquilin, sa moustache blonde, sa bouche bien fendue entre des lèvres fines, tout cela est bien d’un Slave. Dans les manières aussi, il a quelque chose de la politesse caressante des Russes. C’est d’ailleurs un pacha très présentable : il est bel homme, il porte bien son élégante