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France était devenue, une société démocratique. Cette constitution sociale de la France a été regardée comme la solution réalisée de la fameuse question de Sieyès : « Qu’est-ce que le tiers ? » La démocratie française est le grand phénomène social du siècle, l’objet de toutes les observations et de tous les doutes des publicistes, l’objet de toutes leurs craintes fit de toutes leurs espérances. La démocratie ainsi conçue, je lui rends son vrai nom, disait Royer-Collard, c’est l’égalité des droits, et moi je dis : Je rends à l’égalité son vrai nom, c’est la justice.

Pour quiconque se réclame des principes de 89, il semble étrange de contester un moment que la démocratie doive être libre, que la liberté soit la compagne naturelle de l’égalité. Liberté, égalité, ces deux mots se lisent accouplés dans plus d’une ligne de Montesquieu ; je les retrouve unis dans une phrase de Turgot : Montesquieu et Turgot, ces précurseurs ! N’ont-ils pas été, ces deux mots, gravés ensemble par le génie de 89 sur les tables de la loi ? Qui donc aurait l’audace d’effacer l’un ou l’autre ?

On l’a osé cependant, et cette rature n’a pas toujours été faite de main de despote ou de courtisan. Ce ne sont pas toujours les adorateurs empressés du pouvoir absolu qui sont venus en plaider la cause, en déclamer le panégyrique imposteur. Que des jurisconsultes dignes de Byzance célèbrent L’absolutisme byzantin, leur sophistique connue n’étonnera pas plus qu’elle ne persuade, et tout empire trouvera des Tribonien qui mettront leur érudition à ses ordres et déterreront des citations à l’appui de tous ses caprices : on n’aurait rien à dire à ce genre de savans qui font gloire d’enseigner le droit contre le droit ; mais l’absolutisme a des apologistes plus honnêtes et plus désintéressés, et il ne les rencontre pas tous parmi ces sceptiques découragés, parmi ces observateurs mélancoliques qui, touchés de l’infirmité radicale de l’humanité, chagrins des fautes et des malheurs du temps, voient des dangers dans ses nouveautés, un déclin dans ses progrès, et condamnent une société en décadence au régime de la tyrannie. On concevrait encore qu’une prudence inquiète, une sagesse attristée regardât la servitude politique comme une déchéance inévitable, comme le dernier espoir d’un temps désespéré. Ils ne sont pas rares les pénitens qui acceptent cette humiliation comme nécessaire, et déclarent que leur siècle ne vaut pas mieux que cela ; mais ils ne sont pas les seuls à mettre à l’écart la liberté constitutionnelle. Parmi les esprits les plus enthousiastes des formes et des progrès de la société moderne, parmi les juges les plus sévères, les contempteurs les plus décidés des préjugés et des misères du passé, se comptent en assez grand nombre des indifférens en matière de droits politiques. La même voix qui chante les conquêtes de la civilisation contemporaine trouve souvent