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bien que les blancs, les noirs se permettent d’aimer le pays qui les a vus naître, et, puisqu’ils y trouvent la liberté, quelle raison auraient-ils de le quitter désormais ? Comme leurs frères nés libres, ils sauront y conquérir l’aisance, et contribuer par leur travail à la prospérité de tous[1].

En émancipant les esclaves du district fédéral, le congrès n’avait heureusement pas épuisé tous ses pouvoirs constitutionnels : il pouvait également abolir la servitude dans les territoires de l’Union, c’est-à-dire dans les diverses contrées de l’ouest qui n’ont pas encore une population assez considérable pour être élevés au rang d’états. Par cette mesure générale d’affranchissement, les chambres de Washington rentraient dans la tradition du droit national et confirmaient la célèbre ordonnance de 1787, que les propriétaires d’esclaves avaient constamment violée depuis 1820, époque de l’admission du Missouri. En 1854, une dernière violation des lois, plus audacieuse que les précédentes, avait ouvert à l’esclavage l’immense étendu des territoires ; maintenant, par un juste retour du sort, cet espace, presque aussi vaste que la partie déjà colonisée des États-Unis, est à jamais fermé à tous les propriétaires de nègres. Il était temps. Grâce aux faveurs du pouvoir qui avait partout suivi l’institution de l’esclavage, il s’était introduit jusque dans les territoires où le climat et les cultures agricoles semblaient exiger le travail libre. Le Nebraska lui-même, situé dans la partie la plus septentrionale de l’Union, comptait parmi ses habitans quelques nègres asservis. Or, il faut l’avouer à la honte de la nature humaine, la richesse acquise par la criminelle possession d’autres hommes suffisant pour assurer aux planteurs une influence prépondérante sur presque tous leurs concitoyens, on pouvait craindre de voir les propriétaires d’esclaves entraîner vers la confédération du sud toutes les contrées qu’ils avaient envahies. Parmi les territoires où la servitude aurait pu facilement s’étendre et amener la rébellion comme conséquence forcée, il faut compter principalement l’Utah, déjà si redoutable par sa forte société théocratique, et le Nouveau-Mexique, qui semble une dépendance naturelle du Texas, et que M. Jefferson Davis n’a cessé de regarder comme faisant partie de la grande confédération du cercle d’or[2]. L’acte d’émancipation a désormais écarté tout danger de scission dans le far west ; sûrs de l’avenir,

  1. Lors du recensement de 1862, on comptait dans le district fédéral 3,181 noirs asservis et 11,131 Africains libres. En 1860, les évasions et les enlèvemens avaient réduits les esclaves au nombre de 2,989. Les indemnités touchées par les 900 propriétaires de ces nègres se sont élevées au total de 900,000 dollars, soit à 300 dollars par affranchi. Un marchand d’esclaves de Baltimore avait été chargé de fixer la valeur monétaire de tous les noirs libérés.
  2. Dans le territoire du Nouveau-Mexique, plus de 600 indiens se trouvaient au nombre des esclaves.