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calme, drapé de vapeurs ardentes, parmi lesquelles se dessinaient ça et là, non sans une espèce de mystère, quelques îlots montagneux, à l’est les pics innombrables des highlands, découpés en vives arêtes, les uns étincelans de neige, les autres atténués par l’éloignement, qui semblait affaiblir leurs mille nuances, éteignant leurs pourpres, attendrissant leurs verts, et prêtant au ciel lui-même des teintes roses et bleues d’une délicatesse ineffable. À nos pieds, le lac étend sa nappe brillante, qui va se perdre au loin dans la brume pâle de l’extrême horizon. Les îlots verdoyans flottent à sa surface, comme les feuilles tombées des arbres d’un parc dans quelque bassin bien abrité. Sur l’un d’eux, simple tache blanche, est notre petit camp abandonné. Les landes sont tachetées çà et là de lochs en miniature, petits miroirs richement encadrés dans l’or chaud des bruyères…

De quelque côté que je vogue sur le Loch-Awe, je rencontre un mystérieux personnage, sur le compte duquel circulent les rumeurs les plus étranges. Son visage est hâlé ; sa barbe affecte cette variété qui plaît à l’œil d’un peintre, brune sur les joues et nuancée vers le menton de quelques tons d’un gris froid. Il porte le costume des highlands, mais avec une paire de sabots pareils à ceux des paysans français dans certaines provinces. Sa taille est haute, ses formes sont celles d’un athlète. On ne le voit guère sans le meerschaum, monté en argent, qu’il fume sans relâche, et dont le fourneau, aussi brun que lui, atteste les bons services. Cet inconnu est accompagné d’un jeune homme aux longs cheveux noirs, qui passe pour être son fils ; mais personne au fond ne sait rien des liens qui les unissent, rien du motif qui les fait résider sur le Loch-Awe. On prétend qu’il y est venu jadis sous un nom différent de celui qu’il se donne maintenant et qu’on regarde généralement comme un pseudonyme. Je l’appellerai Malcolm, et son jeune compagnon sera désigné sous le nom de Campbell. M. Malcolm donc n’a qu’une petite barque à deux voiles, avec laquelle on le voit parfois nager par les plus gros temps comme un petit oiseau blanc, l’aile ouverte à la brise et fuyant devant elle. Les heures lui sont indifférentes. Le ferryman passant dans son bac quelque fermier attardé le rencontre fréquemment, et suit de l’œil ses voiles blanches qui glissent dans les ténèbres. Fréquemment aussi, par un jour de soleil, la petite chaloupe se montre gaîment pavoisée, et réveille les échos du lac en leur jetant les notes cuivrées d’un cor de chasse.

Certain que le secret de cette existence errante devait être bien plutôt l’amour de la nature que le goût du sport, et sûr d’avoir au moins un instinct commun avec ce voisin que le hasard m’avait fourni, je décidai que nous lierions connaissance. Ainsi dit, ainsi