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à des hypothèses qui n’avaient pas manqué de devenir des préjugés établis.

Ainsi l’on croyait généralement, et sans doute on croit encore, que, semblables aux cavités vulgaires qu’on a décorées du même nom et qui s’étendent sous le sol du Paris de la rive gauche, les catacombes de Rome étaient des carrières ou des puits creusés par les anciens Romains pendant sept à huit cents ans pour extraire du tuf volcanique soit les blocs de péperin, soit plutôt la pouzzolane nécessaire aux constructions de leur ville. Lorsque, sous les premiers césars, ajoutait-on, les néophytes baptisés par saint Pierre et saint Paul se sont trouvés trop nombreux ou sentis trop menacés pour se réunir avec sûreté dans les maisons particulières, ils ont cherché un asile dans ces vastes et obscures retraites, et s’y sont peu à peu fait une église clandestine presque, aussi grande que Rome même. Là, dans ces cryptes ainsi sanctifiées, ils entendaient la parole évangélique, chantaient les louanges de Dieu, recevaient les sacremens, et rendaient les derniers devoirs à ceux de leurs frères que la nature ou la persécution arrachait de leurs bras. Les catacombes étaient donc à la fois les refuges, les temples et les tombeaux des premiers fidèles. C’était toute une cité chrétienne cachée dans les entrailles de la ville éternelle.

Cette interprétation, pour être très accréditée, ne peut plus se soutenir, et à la simple inspection des lieux on a de la peine à comprendre qu’une telle supposition ait pu si longtemps prévaloir. C’est l’opinion des derniers et meilleurs antiquaires que les catacombes ont été creusées par les chrétiens. S’il s’y trouve quelques sablonnières ou quelques puits d’extraction de tuf en bloc ou en poudre, c’est que les allées, percées à une autre fin, ont rencontré dans leur trajet ces lieux d’exploitation[1]. Elles n’ont pas été davantage destinées à la célébration habituelle du service divin en présence de l’assemblée des fidèles, dès qu’ils formaient plus qu’une seule famille. Encore moins étaient-elles un refuge permanent préparé aux populations chrétiennes pour un danger de quelque durée. Je n’ai visité que les catacombes de Sainte-Agnès ; mais elles sont citées comme un spécimen excellent qui peut servir à juger du reste, et l’on y reconnaît à la première vue que les catacombes se composent essentiellement d’un ou plusieurs étages de galeries assez semblables

  1. Quoiqu’on ne regarde plus les catacombes comme d’anciennes armariœ employées à une autre fin par les chrétiens, il n’est pas impossible que les premières aient eu cette origine, et surtout qu’en perçant ces longues galeries mortuaires on en ait extrait les déblais pour les débiter aux constructeurs de Rome. Cette supposition répondrait à ceux qui demandent ce qu’est devenue la masse considérable de sable et de matériaux tirés de ces excavations souterraines.