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de tapisserie, me prélassant, le cœur dilaté, le front épanoui, à ma droite, un guéridon avec une sonnette d’argent, devant moi dix ecclésiastiques et sept séculiers, qui grillaient tous de me conter l’histoire du Tasse ?… Ah ! qu’il est de doux momens dans la vie !… Le président ouvrit la séance par un petit discours qui roula sur trois points : il commença par exprimer modestement ses ignorances, il témoigna ensuite son désir de s’instruire, et il finit par remercier d’avance l’auguste aréopage des torrens de lumière qui ne pouvaient manquer de jaillir de ses doctes discussions. Ce petit discours, assez bien tourné, excita un murmure flatteur d’approbation, après quoi de la gauche à la droite chacun opina à tour de rôle, et à la droite comme à la gauche il se dit de fort belles choses dont voici le fidèle résumé, car mon cher César qui tenait la plume rédigea séance tenante un procès-verbal que j’ai là dans mon portefeuille, et que je vais vous lire… Madame, ne froncez pas le sourcil. Il faut bon gré, mal gré, que vous m’entendiez.

Premier tassiste. — Monsieur le baron, la question est très simple. Il est certain comme deux et deux font quatre que le Tasse conçut une ardente et folle passion pour Léonore d’Este. Ses soupirs ne furent point écoutés. Le pauvre amant rebuté s’abandonna au désespoir ; son esprit fut en proie à de sombres égaremens. Un jour, dans un transport amoureux, à la vue de toute la cour, il s’oublia jusqu’à cueillir un baiser sur la bouche de la belle princesse. Le duc Alphonse, indigné, mais toujours maître de lui, se tourna vers les assistans et leur dit froidement : « Quel dommage qu’un si grand homme soit devenu fou ! » Et sur-le-champ il le fit enfermer à l’hôpital Sainte-Anne. La captivité acheva ce que l’amour avait commencé, elle porta le dernier coup à cette raison chancelante. Et voilà l’histoire de la folie du Tasse.

Deuxième tassiste. — Monsieur le baron, il est certain comme deux et deux font quatre que le Tasse aima la belle Léonore et qu’il en fut aimé. J’ose même affirmer qu’il ne manqua rien à son bonheur. Pour vous édifier à ce sujet, lisez plutôt son sonnet sur Il bel seno di Madonna, qui commence par ces mots : Non son si vaghi i fiori… Monsieur le baron, que pensez-vous de ces deux vers :


Maraviglioso grembo, orto e coltura
D’amor, e paradiso mio terreno ?


(Sein merveilleux, jardin et culture d’amour et mon paradis terrestre !) Et que pensez-vous de la comparaison qui suit, de ces pommes d’Atalante, de ces jardins des Hespérides ? Quoi de plus clair, je vous prie ? Par malheur, le poète ne fut pas discret. Un