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curseurs, ils élurent sept chefs auxquels ils donnèrent le nom des sept premiers rois édomites, prédécesseurs des rois d’Israël. En effet, il est écrit dans le Zohar, qui, nul ne l’ignore, est le code universel de la kabbale : « Avant que l’ancien des anciens, celui qui est le plus caché parmi les choses cachées, eût préparé les formes de rois et les premiers diadèmes, il n’y avait ni limite, ni fin. Il se mit donc à sculpter les formes et à les tracer de sa propre substance. Il étendit devant lui-même un voile, et c’est dans ce voile qu’il sculpta les rois, qu’il traça leurs limites et leurs formes; mais ils ne purent subsister. C’est pour cela qu’il est écrit : Voici les rois qui régnèrent dans le pays d’Édom avant qu’un roi régnât sur les enfans d’Israël. Il s’agit ici des rois primitifs et d’Israël primitif. Tous les rois ainsi formés avaient leurs noms; mais ils ne purent subsister jusqu’à ce que l’ancien des jours descendît vers eux et se voilât pour eux. »

Les sept chefs des buveurs de cendres prirent donc le nom des sept premiers rois d’Edom et les transmirent à leurs successeurs, de sorte que l’on pourrait croire que les fondateurs de cette singulière société sont immortels. Dans une conspiration qui fut découverte à Rome au commencement du XVIIIe siècle, un des téphrapotes fut arrêté; interrogé, il répondit qu’il se nommait Bélâ, fils de Béor. — Qui t’a poussé à conspirer contre notre saint-père le pape? lui demanda-t-on. Il répondit : Bélà, fils de Béor. — Comment s’appelait ton père? — Bélâ, fils de Béor. — Et ton grand-père? — Bélâ, fils de Béor. — Quel âge as-tu? — Trois cent douze ans. — Veux-tu nous persuader que tu vis toujours et que tu es le même homme qui a pu exister il y a trois siècles? — Il répondit simplement : Le même ! — On le crut fou, ce qui lui sauva la vie. On l’enferma au château Saint-Ange, d’où il put s’évader grâce aux autres buveurs de cendres, qui de loin veillaient sur lui.

Le gouvernement romain, si bien instruit de toutes choses grâce au confessionnal, ne tarda pas à apprendre la naissance d’une société destinée à le combattre. Il s’en inquiéta peu d’abord; mais, voyant augmenter et se répandre le nombre des adhérens, croyant que la mort de Savonarole était restée la seule cause de la haine jurée, il voulut, usant de douceur, revenir sur la condamnation d’autrefois et du moins réhabiliter le martyr : Paul III déclara hérétique quiconque attaquerait sa mémoire; Paul IV reconnut, après examen, que ses écrits étaient irréprochables; enfin Benoît XIV n’hésite pas à le ranger au nombre des serviteurs de Dieu qui méritent la béatification. De telles mesures n’étaient point faites pour désarmer des hommes qui cherchaient, non pas une vengeance, mais la destruction de l’ordre de choses le plus complet et le plus solide