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qui ait jamais existé; aussi la protestation ne semble pas moins vivace que l’affirmation, et, autant par esprit de défi que par conscience de sa propre force, elle a également pris pour devise la phrase célèbre : Patiens quia œternus!

L’action des buveurs de cendres ne fut point circonscrite à l’Italie; comme ils allèrent en Bohême réveiller ce qui avait survécu des taborites et des calixtins, ils entrèrent en lutte contre la maison d’Autriche. Ils prirent une part importante à la réforme, à la guerre de trente ans, à la création du royaume de Prusse, qui, en tant que puissance protestante et nouvelle, leur paraît appelée à renverser le vieil édifice des Habsbourg. Plus tard, dans une réunion générale qu’ils nommèrent le grand concile et qui est restée célèbre dans leurs fastes, ils étendirent le cercle de leur œuvre et jurèrent l’anéantissement du moyen âge, qui seul, par ce qui en subsistait encore, s’opposait à l’éclosion de l’esprit moderne, dont ils s’étaient faits les ardens propagateurs. Or, pour eux, le moyen âge était symbolisé par le droit divin, le droit de chancellerie et le droit de conquête.

Pendant la révolution française, le chef des téphrapotes fut un Français membre de la convention; il vota la mort de Louis XVI, eut de grandes charges sous Napoléon, et concourut de tout son pouvoir au renversement de la puissance temporelle. Pendant la restauration, les téphrapotes, qui ne combattent que les rois dits de droit divin, furent en relation avec les carbonari français, surtout avec les loges du Dauphiné, et tel homme célèbre qui fut ministre des cultes sous un règne récent aurait peut-être été fort surpris d’apprendre que, lorsqu’il était dans sa jeunesse visiteur de la vente des bons-cousins de Grenoble, il appartenait implicitement à une société dont il ne soupçonnait même pas l’existence. Les hommes les plus séparés par le caractère et par les positions sociales ont fait partie de ce groupe, qui cherche toujours à traduire en faits ses aspirations; des rois, dit-on, ont prêté le serment des téphrapotes et ont porté des noms édomites. Dispersées autrefois sur la surface de l’Europe et même du Nouveau-Monde, les forces de l’œuvre semblent, depuis une quarantaine d’années, s’être réunies et pour ainsi dire concentrées sur trois points principaux, dont tous les autres découlent : la destruction du pouvoir temporel, la dislocation de l’empire d’Autriche et l’anéantissement de l’empire turc en Occident. C’est là que tendent tous les efforts des téphrapotes; Dieu seul, dans ses secrets impénétrables, sait quelle destinée il leur réserve.

Le serment de 1498 est celui qui se jure encore aujourd’hui; la formule mystique de ce pacte, empreinte des idées confuses du moyen âge expirant, ne doit pas trouver sa place ici; qu’il suffise de