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notre vie tout ce qui n’est pas la seule chose nécessaire, de peur qu’en voulant devenir divins nous ne cessions d’être des hommes. »

La vie complète ! c’est le programme de la renaissance. Il est bon que l’âme essaie de toutes les attitudes ; est-il besoin d’être à genoux pour prier ? Il est bon que l’homme multiplie ses sentimens et ses pensées ; les esprits et les cœurs en friche ne sont pas agréables à Dieu. Il est bon que l’homme sache rire aussi bien que pleurer ; si le travail et la douleur sont sacrés, les plaisirs purs n’ont rien qui offense la suprême sagesse, et il dépend de nous de l’associer à nos fêtes. Écoutez encore ce chanoine, ce prédicateur, ce grand philosophe, Marsile Ficin. Cet apôtre de l’union mystique a écrit l’éloge des festins. On croit lire Platon, mais un Platon chrétien. Les banquets, selon lui, sont l’assaisonnement de l’amitié, le charme de l’existence ; dans la joie qui les accompagne, les âmes se détendent, les caractères se polissent, la raison même jette de plus vives étincelles. Il faut écarter avec soin de sa table les esprits moroses et contentieux, « à moins qu’ils ne ressemblent à Xénocrate le platonicien et à Zénon le stoïcien, qui s’adoucissaient par le vin comme les lupins déposent leur âpreté dans l’eau. » Il faut parler des choses divines avant d’avoir bu, des choses naturelles au dessert, mêler l’agréable à l’utile, des contes à la morale, et finir par les chants et la musique, laborum dulce lenimen. Bien dîner, c’est dîner dans la compagnie des Grâces, des Muses, d’Apollon, de Platon ;… mais gardons-nous d’oublier le Christ. Que la place d’honneur soit réservée à ce divin convive ! Il ne se refusait pas aux joies des banquets : à Cana, il changea l’eau en vin, et n’est-ce pas à table qu’il révéla à ses disciples les mystères de l’eucharistie ? « Lui présent, nous nous souviendrons que le principal aliment de l’homme, ce ne sont pas les plantes et les animaux, mais l’homme lui-même, et moins l’homme encore que Dieu. » C’est ainsi qu’en usait Ficin avec ses disciples Cavalcanti, Landino, Politien. Et ce même Ficin, en sortant de son cabinet, où il venait de passer de longues heures dans l’étude et dans l’extase, il s’en allait errer avec un ami au penchant des collines de Fiesole, et, contemplant avec délices l’admirable paysage qui se déroulait sous ses yeux, il s’y choisissait un site favorable pour s’y bâtir en imagination une maison selon son cœur… Méditer Platon dans une telle retraite, quel sort digne d’envie, et qu’il est doux, quand on a de tels rêves, d’être l’ami d’un Laurent de Médicis !…

Renoncer à tout pour aller à Dieu, c’était la maxime de l’ascétisme. Se servir de tout pour se rapprocher de Dieu, c’est le précepte de la renaissance. Et jamais peut-être son génie ne fut mieux défini que par le Tasse dans son dialogue sur la vertu : « Tout sert