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Colbert en effet, il n’y a qu’à lire ses derniers mémoires pour s’en convaincre, mourut à la peine, et sa mort, cela est triste à dire, parut à tous un soulagement pour Louis XIV en même temps qu’une victoire pour Louvois, dont le crédit ne connut dès lors plus d’obstacle. Aussi, à partir de ce moment jusqu’à la paix d’Utrecht, les contrôleurs-généraux, véritables commis du secrétaire d’état de la guerre (on sait que Chamillard réunit pendant un temps les deux fonctions), n’essayèrent même plus une résistance impossible, et n’eurent d’autre mission que de faire venir, coûte que coûte, de l’argent au trésor.

Reconnaissant son impuissance, l’héritier direct de Colbert, Claude Le Peletier, avait, après quelques observations timides et mal accueillies, préféré se retirer. Il était d’ailleurs ennemi du tracas de la cour, absorbé de plus en plus par les pratiques pieuses, lent, méticuleux, indécis. Déjà il avait été forcé d’emprunter en pleine paix pour acquitter les dépenses ordinaires. Quand la coalition de 1689 s’était formée, la perspective d’une longue guerre, avec l’Europe entière sur les bras, l’avait effrayé, et il avait supplié Louis XIV de confier à un autre le fardeau de ses finances. Louis XIV n’aimait pas changer de ministres; il craignait surtout que le successeur de Le Peletier ne s’entendît pas avec Louvois, car les divisions entre ce dernier et Colbert lui étaient toujours présentes. Il résista donc quelque temps aux instances de son contrôleur-général; mais, celui-ci ayant allégué le mauvais état de sa santé, le roi, qui l’aimait, finit par céder et lui permit de se retirer avec 80,000 liv. de pension (20 septembre 1689). On a prétendu que Le Peletier aurait pu faire nommer à sa place un de ses frères, et que la jalousie seule l’en avait détourné; il est plus vraisemblable que, timoré pour eux comme pour lui, redoutant, si celui qu’il aurait désigné paraissait au-dessous de sa tâche, le mécontentement de Louis XIV, il présenta, de concert sans doute avec le tout-puissant secrétaire d’état de la guerre, dont il était lui-même la créature, un autre prétendant, Louis Phelypeaux, comte de Pontchartrain, qui fut accepté.

A part le dévouement à Louvois, le comte de Pontchartrain ressemblait aussi peu que possible à son prédécesseur; l’on aurait trouvé difficilement deux natures plus différentes. « La lenteur et l’indécision de l’un, a dit le chancelier d’Aguesseau, qui les avait vus tous les deux à l’œuvre, furent mises dans tout leur jour par la comparaison que l’on en fit avec la vivacité et la prompte décision de l’autre. » Pontchartrain n’avait pas, s’il faut en croire ses amis, ambitionné un pareil poste; il est certain qu’il fut heureux, quelques années plus tard, de l’échanger contre un autre plus en rap-