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port avec ses goûts, celui de chancelier. La situation était évidemment pleine de périls, et le nouveau contrôleur-général, intendant des finances depuis 1687, pouvait moins que personne se le dissimuler. Dès 1688, c’est-à-dire avant même le commencement des hostilités, Le Peletier avait dû, pour ne pas retomber dans les inconvéniens de l’arriéré, emprunter une somme de 16 millions et créer, moyennant finance, un certain nombre d’emplois complètement inutiles. Si telles avaient été les nécessités du trésor avec une armée sur le pied de paix, que seraient-elles donc lorsque, pour faire face à l’Europe conjurée, il faudrait porter cette armée à 400,000 hommes, et tenir en mer une flotte capable de se mesurer avec les flottes réunies de la Hollande et de l’Angleterre ! Ni le chiffre de la population, ni la situation intérieure de la France ne permettaient de croire qu’elle fût en état de traverser, sans de grands et douloureux efforts, une pareille épreuve. La population n’excédait guère vingt millions d’âmes. L’agriculture, il est vrai, s’était un peu relevée grâce aux exportations de grains des dernières années; mais, la guerre éclatant, ces exportations cesseraient tout à coup. L’industrie elle-même était bien déchue de sa splendeur passagère, et ne se soutenait, avec bien des souffrances, que par les encouragemens de l’état. Enfin l’irritation trop bien motivée des protestans, principalement de ceux qui habitaient les provinces du littoral, inspirait de sérieuses inquiétudes au gouvernement. Malgré tant de raisons d’être prudent, modéré, conciliant, Louis XIV céda, tout en le supportant avec une impatience chaque jour croissante, au funeste ascendant de Louvois, et laissa se former l’orage qui éclata en 1689.

Le duc de Saint-Simon avait beaucoup vu le comte de Pontchartrain, qui lui a fourni le sujet d’un de ses portraits les plus flatteurs. Il était né le 9 mars 1643, d’une famille qui avait occupé de grands emplois. Son grand-père, secrétaire d’état sous Henri IV et Louis XIII, a laissé sur ces deux règnes des mémoires dont on a dit qu’ils étaient plus vrais que naïfs, plus exacts que spirituels. Son père aurait dû hériter de cette charge; mais, encore mineur quand elle devint vacante, il en fut frustré par un de ses oncles. Après avoir été conseiller au parlement, il avait obtenu une présidence à la chambre des comptes de Paris. Désigné pour faire partie de la commission qui jugea Fouquet, il se trouva placé, quand vint la fin de ce procès célèbre, entre les propositions les plus avantageuses et les menaces de Colbert et de Le Tellier. Ce fut alors que le jeune Pontchartrain, âgé de dix-sept ans, et à qui il venait d’acheter une charge de conseiller aux requêtes du palais, le supplia à genoux de ne pas se déshonorer avec toute sa famille par une condamnation