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Il suffisait, pour avoir le passeport, de déposer sa demande à un endroit indiqué. Je crois même que le comité a fait au grand-duc Constantin, lors de son départ, la politesse de lui envoyer des passeports pour sa sûreté.

Le fait le plus extraordinaire sans nul doute a été le succès du gouvernement national, dans le recouvrement de l'impôt, succès qu'on a pu appeler miraculeux. Ce n'était nullement un acte capricieusement imaginé et arbitrairement accompli : un décret avait établi l'impôt. Les bulletins étaient faits dans une forme régulière et sur des données assez positives. Tout le monde a payé l'impôt. Il n'y a pas longtemps, dans un des palatinats il ne restait qu'une somme relativement minime, un peu plus de 100,000 francs, en retard; des fonctionnaires du gouvernement russe, le gouverneur de la banque, le directeur de l'intérieur, ont eux-mêmes reçu leurs bulletins et se sont exécutés. Le voyageur anglais dont je parlais, et qui a visité récemment la Pologne, raconte une circonstance qu'il n'ose garantir, tant elle semble surprenante : c'est que le grand-duc Constantin lui-même aurait payé la contribution, fixée à 10,000 roubles, dans des conditions assez imprévues, il est vrai. Le grand-duc reçut, un jour son bulletin, et il envoya un de ses aides de camp porter la somme requise en donnant en même temps à la police l'ordre de cerner secrètement la maison indiquée comme lieu de paiement. L'officier trouva un vieillard qui prit la somme et passa dans une autre chambre pour faire une quittance. Ne voyant revenir personne, l'officier appela la police, pénétra dans l'appartement voisin : il n'y avait qu'une institutrice tout étonnée; l'homme avait disparu, et le propriétaire de la maison protesta qu'il ne connaissait rien de ce vieillard. Ce qui ajoute à la bizarrerie du fait, c'est que, lorsque l'officier revint un peu confus au palais, la quittance était déjà entre les mains du grand-duc.

Il en est ainsi de tout. Un jour les autorités russes veulent détruire une maison pour les besoins de la stratégie. On appelle des ouvriers; mais les ouvriers ont reçu l'ordre de refuser leur concours, et pas un ne paraît. La maison n'est pas sauvée, mais il faut employer des soldats. Le jardin de Saxe est un lieu de réunion à Varsovie, où tous les étés on fait de la musique. Cette année, on ne négligeait pas de se mettre en règle en demandant une autorisation au gouvernement national, qui ne la refusait pas, à la condition toutefois qu'on ne jouerait pas de la musique légère et joyeuse. Un jour on s'oublia, on se mit à jouer une mazurka; on avait à peine commencé que le chef d'orchestre reçut un billet lui prescrivant de cesser et de ne plus faire de musique désormais. On cessa aussitôt; rien ne put déterminer les musiciens à continuer, et depuis on n'a plus fait de musique.