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villes, amassé bien des trésors, jeté les bases d’un empire qu’il allait transmettre à son fils, et qui devait écraser la Grèce. Les Macédoniens, ces Piémontais de la péninsule grecque, avaient pour eux une forte organisation militaire et l’unité, qui avait toujours manqué aux républiques de la Grèce, affaiblies par leurs dissensions. Relégués au nord de l’Olympe et du Pénée, ils étaient restés pendant longtemps étrangers au mouvement intellectuel des Hellènes, qui les traitaient volontiers de barbares. Les rois de Macédoine n’en mirent que plus d’insistance à revendiquer le titre de Grecs et à se faire admettre aux fêtes d’Olympie, congrès pacifique des races de même origine; ils affichèrent le goût des lettres et des arts, et si leur pays ne produisait ni poètes ni artistes, ils s’efforcèrent d’attirer à leur cour les artistes et les poètes grecs. Les exilés illustres étaient accueillis avec honneur. Ce fut en Macédoine qu’Euripide essaya de se consoler de l’injustice des Athéniens. Zeuxis avait été appelé pour décorer de ses peintures le palais du roi Archélaüs. A part les jouissances du luxe, qui touchent les princes les moins civilisés, ces démonstrations étaient plus politiques que sincères, surtout de la part de Philippe, esprit pratique, rusé, peu sensible aux belles choses, et qui n’avait de grand que l’ambition; mais Philippe savait que le meilleur moyen de conquérir les Grecs, c’était de paraître conquis à leurs idées. Apelle devint donc le peintre de la cour : il fit de nombreux portraits, non-seulement du roi, mais de son fils, de ses généraux, de ses principaux ministres. L’étude de la nature, l’analyse patiente du modèle vivant, la recherche du vrai et du réel, que lui avaient imposées les maîtres sicyoniens, le rendaient merveilleusement propre à cette tâche.

Sa faveur devint surtout éclatante lorsque Alexandre fut monté sur le trône. L’élève d’Aristote avait un amour effréné de la gloire, et montrait par là une âme vraiment grecque. S’il affectait de placer chaque nuit sous son oreiller les poèmes d’Homère, s’il feignait, même à Babylone, quand l’Asie était à ses pieds, de trembler devant l’opinion des Athéniens, il encourageait les arts avec une prodigalité folle, parce qu’il savait comment la gloire se consacre. Le désir de rendre ses traits immortels et de transmettre de lui à la postérité l’image la plus flatteuse se manifestait avec une passion intelligente, mais avec un despotisme naïf : il ne permettait qu’aux plus célèbres artistes de le représenter. Seul, Lysippe avait le privilège de sculpter ou de fondre ses statues; seul, Pyrgotèle devait graver sa tête sur les monnaies ou sur les pierres précieuses ; seul, Apelle pouvait le peindre. L’instinct des rois absolus est d’exercer sur l’art un empire direct, à leur profit personnel ou au profit de leurs caprices. Il faut avouer cependant qu’Alexandre avait, aussi