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profité des leçons de ce sage père. Cette belle morale a porté ses fruits, et il ne se passe guère de jour où M. Simonet ne s’applaudisse de l’avoir fait adopter par tous ceux qui l’entourent. Comme Montjoye, il attend pendant trente ans les conséquences de ses principes; elles arrivent à la fin. Un jour vient où il a besoin des secours et de l’affection de sa famille : il s’adresse à sa femme, et celle-ci l’envoie promener; il se tourne vers ses enfans, et ceux-ci le regardent avec étonnement sans le comprendre. Qu’est-ce qu’il leur demande en effet? L’indifférence n’est-elle donc plus la première et la plus utile des vertus? La donnée de cette comédie est des plus vraies et des plus morales. M. Belot a très judicieusement posé le doigt sur le vice véritable de notre société contemporaine, l’indifférence. Sa comédie est prise dans la réalité la plus exacte, mais elle a le tort de n’être pas dramatique. Des indifférens ne prêtent pas au drame, parce qu’ils ne se prêtent pas eux-mêmes à la lutte, à l’action et à la passion. Tant qu’il ne s’agit que de poser et d’expliquer les caractères, la comédie marche à merveille; mais dès que la catastrophe menace, elle s’arrête court. La nonchalance des personnages fait obstacle à l’action ; c’est à peine s’ils ont la force de se lever sous l’aiguillon qui les pique; ils se réveillent en se frottant les yeux et demandent ce qu’il y a. Leurs habitudes invétérées d’indifférence leur font prendre trop froidement le coup qui les frappe, les protègent trop contre la douleur et la passion. Contrairement à la coutume des personnages de drame, qui ont un penchant invincible à exagérer leurs sentimens, les personnages de cette comédie restent en-deçà des sentimens qu’ils devraient éprouver; quand ils sont émus, ils le sont moins que leur situation ne le comporte. La comédie de M. Belot a donc d’excellentes qualités; mais, par la faute même du vice qu’elle veut peindre, elle a un peu le défaut de la jument de Roland, elle ne marche pas.

Le théâtre contemporain appartient tout entier à la prose; la comédie en vers semble en être bannie, et ceux-là mêmes qui naguère se faisaient honneur de lui rester fidèles, comme M. Emile Augier, l’ont abandonnée. Les poètes ne font plus à la scène que de rares apparitions : ils sont la terreur des théâtres, et du plus loin qu’on en voit venir un, on lui ferme la porte au nez, pour peu qu’on soit averti à temps. Plus heureux que la plupart de ses frères en Apollon, M. Edouard Pailleron est parvenu à se faire accepter dans ces lieux inhospitaliers. Il est vrai qu’il a pris le meilleur moyen pour se faire accepter : pas de grandes machines présomptueuses, de petites comédies en un acte ou deux, bien gentilles, bien accortes, et très suffisamment éveillées, dont on peut écouter sans fatigue pendant une heure l’aimable babil. M. Pailleron a de la facilité plutôt que de la verve, et de l’esprit plutôt que du trait. Il coupe un