la figure et la voix d’un don Juan? Comment se fait-il qu’il ait disparu? Est-il mort?
Permettez-moi, belle curieuse, de ne pas répondre à tant de questions à la fois. A vrai dire, ce n’était pas par des liens de famille que le duc Pompée tenait à celle à qui il avait permis, en débutant au théâtre, de s’étayer de son nom. Il y a longtemps, voyageant en Italie, il la rencontra à Naples, encore enfant; frappé du charme de sa voix, de sa beauté, de l’intelligence précoce de sa physionomie, il proposa à ses parens de se charger de son éducation. Le duc Pompée a tenu sa parole, et c’est à lui que nous devons cette virtuose merveilleuse. Le duc Pompée était beau, mais d’une beauté fatale à celles qui l’approchaient. Est-ce tout? Ah! j’oubliais ! Après avoir dissipé sa fortune, on dit qu’il est allé mourir en Amérique.
Quel dommage ! J’aurais bien aimé à le connaître.
Je ne vous comprends pas, Emma; il me semble au contraire qu’un tel homme m’aurait fait peur.
Oh ! avec Henri, vous pouvez braver tous les Pompées de la terre. (On entend la cloche du déjeuner.)
Madame la comtesse est servie.
Le théâtre représente un parc. A gauche du spectateur, une serre avec des gradins couverts de pots de fleurs, la serre avance jusque sur le devant de la scène et en occupe le tiers en largeur; la porte en est ouverte et laisse voir ce qui se passe à l’intérieur. Sur le devant, attenant à la serre, un banc A droite, au fond et dans l’éloignement, un massif d’arbres au milieu duquel s’élève une tour gothique.
Au plus beau moment, quand l’animal sur ses fins commençait à faire tête aux chiens, une pierre se loge dans le sabot de mon cheval, le blesse, et je manque l’hallali; c’est un peu dur. Eh! pourtant j’aurais tort de compter sur les regrets de mes compagnons. Herman et Emma semblaient tout consolés du départ d’une duègne à cheval... Entre une jeune coquette et un ancien libertin, il y a une telle force d’attraction!... N’importe, j’ai conclu aujourd’hui avec Isabelle un pacte d’amitié; je veillerai sur son bonheur.