d’avoir guidé tes pas vers nos Madeleines encore non repenties, je voudrais bien savoir ce que Mentor ferait de nos jours d’un Télémaque de vingt ans !... Toi, qui es encore un trop jeune mari, oses-tu bien me blâmer de ne t’avoir pas marié plus tôt?.
Vous valez mieux que moi, d’accord ! mes reproches n’avaient pas le sens commun; mais je m’irrite en vous voyant, parce que j’adore ma femme, vouloir faire de moi un homme plus parfait que nature, incriminer mes peccadilles, et prétendre m’interdire les moindres distractions.
Ingrat! La nature a accumulé sur toi ses plus précieuses faveurs : l’intelligence, la beauté, la noblesse, la voix qui charme, et ce don de séduire qui vaut à lui seul tous les autres; tu as abusé des voluptés, et quand, à quarante ans, je t’ai forcé à rompre avec les plaisirs avant qu’ils ne te quittent, à point nommé est éclose pour toi dans le cœur d’Isabelle cette fleur qui s’épanouit à peine une fois en un siècle, l’amour, qui donne le bonheur, qui survit au mariage, à la vieillesse, peut-être à la mort. Ainsi, dans ton existence privilégiée, le bonheur a succédé sans intervalle au plaisir; quel insensé serais-tu donc si, pour Emma ou pour Pompéa, pour un caprice ou pour un souvenir, tu risquais un pareil amour !
Pardon, mon cher, mon véritable ami; je sais que mon passé autorise votre méfiance; mais pour conjurer le danger de ce premier tête-à-tête, j’ai un moyen infaillible : le tableau de mon bonheur suffira... ( on entend frapper à la deuxième porte. )
A l’œuvre donc, et de la fermeté! (Il sort par la porte du premier plan.)
Je te retrouve enfin, mon maître ! mon Pompée ! Depuis que je t’ai rencontré dans le parc, cette contrainte me pesait comme un manteau de plomb ! Dis, m’as-tu gardé une petite place dans ton cœur?
Sans doute; tu n’es pas de celles qu’on oublie.
Je suis bien vieillie, n’est-ce pas?
Enfant! tu es plus belle que jamais; mais, moi, j’ai quitté la jeunesse.
Vrai ! tu n’as pas encore l’embonpoint des maris. (Le prenant sous le bras. ) Pauvre chéri j’ai bien souffert, va, depuis ta rupture avec moi!... Oh! ton élève n’a pas été lâche! Pour chasser ton souvenir, j’ai eu recours à toutes