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Certes la tentative était hardie, et le merveilleux talent avec lequel elle a été menée à fin la justifie suffisamment. Les deux coupoles de Parme sont au nombre des plus beaux ouvrages qu’ait produits le pinceau. N’est-il pas permis néanmoins, en ayant pour ces grandes œuvres la profonde admiration qu’elles commandent, de confesser qu’elles ne satisfont pas à toutes les conditions exigées par le goût ? Gustave Planche a dit à ce sujet avec sa franchise accoutumée : « J’admire, comme tous les hommes de bonne foi, l’abondance et la variété qui éclatent dans la coupole de la cathédrale, je reconnais avec tous les esprits éclairés qu’un génie de premier ordre a pu seul enfanter une telle composition ; mais… il y a dans les raccourcis une ostentation qui frappe tous les yeux. » Et il ajoute : « Le parti adopté par Antonio à l’égard de l’architecture, en agrandissant le champ de la peinture, réduit l’architecture à néant. Pour tous ceux qui ont pris la peine de méditer sur ce problème délicat, il est aujourd’hui hors de doute qu’il vaut mieux, en pareille occasion, respecter les divisions de l’architecture et ne pas trouer la surface offerte au pinceau[1]. » Ces derniers mots caractérisent bien la nature des innovations introduites par le Corrège dans la peinture monumentale, et en signalent clairement les dangers. Trouer, comme il l’a fait, dans toute leur étendue les voûtes qu’il s’agissait seulement de revêtir de teintes lumineuses et de nous montrer voisines du ciel, sans pour cela les isoler du monument qu’elles couronnent ; prétendre produire une illusion absolue, en présentant au spectateur des figures strictement vues de bas en haut, des raccourcis que ses yeux ignoraient, des formes ramassées qui déconcertent sa mémoire, c’est en effet pécher contre le goût et courir le risque d’aboutir à l’invraisemblable par la recherche excessive, par l’expression outrée du vrai. Que le Corrège ait pu commettre impunément une pareille faute, ou plutôt qu’il l’ait rachetée à force de verve et de fécondité dans l’invention, de certitude dans la science, de puissance dans le coloris, — voilà ce que personne ne songera sans doute à contester. Toujours est-il que ses deux chefs-d’œuvre léguaient à l’avenir une tradition périlleuse, et que, sans les rendre responsables de toutes les erreurs qui ont suivi, on y trouvera la consécration d’un faux principe dont quelques successeurs du maître devaient s’autoriser, comme d’une excuse, pour leurs propres écarts.

Ainsi lorsqu’au bout d’un demi-siècle Vasari et après lui Frédéric Zuccaro couvraient de leurs peintures pédantesquement tumultueuses les parois intérieures du dôme de la cathédrale à Florence,

  1. Voyez, dans la Revue du 15 décembre 1854, Études sur l’Art en Italie, — le Corrège.