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La situation se complique d’une rivalité de couvens. Les frati minori de Santa-Croce défient le dominicain excommunié d’établir sa doctrine, de manifester ses droits à la protection céleste au moyen d’une épreuve décisive empruntée à la jurisprudence des temps barbares, et cette épreuve, ils offrent eux-mêmes de s’y soumettre. Cet absurde défi, accepté forcément par Savonarole, devient l’occasion d’une scène misérable racontée par tous les chroniqueurs, et d’après eux avec une fidélité scrupuleuse, par l’auteur de Romola. Dans ce roman, Tito Melema, devenu à force de manœuvres le secrétaire du conseil des dix, est le principal instigateur de la combinaison machiavélique qui met le frate, dépouillé désormais de son ascendant sur la multitude, à la merci d’un gouvernement hostile et jaloux. Dès le lendemain de la fatale épreuve, les arrabiati de Florence, — ceux qu’exaspérait le joug austère de l’autorité monacale, — suscitent une émeute populaire principalement dirigée contre les piagnoni ou sectateurs de Savonarole. Ces désordres ont été concertés avec Dolfo Spini, que les arrabiati reconnaissent pour chef, par Tito Melema, toujours acharné à la perte du réformateur ; mais le Grec a omis, dans ses calculs profonds, de faire entrer en ligne de compte la haine que lui porte un sycophante en sous-ordre, un espion de bas étage, dont il a plusieurs fois et presque sans le savoir contrarié l’ignoble ambition. Au moment où Florence est livrée à l’émeute, alors que le pillage, l’incendie, l’assassinat ont pleine carrière, quelques perfides révélations glissées par ser Ceccone à l’oreille de Dolfo Spini décident du sort de Tito. Le Catilina florentin, se croyant joué par le secrétaire des dix, prononce contre lui un arrêt de mort que deux de ses sicaires, deux campagnacci, sont chargés d’exécuter. Deux bandes de pillards, organisées, commandées par ces hommes, se dirigent dès la pointe du jour vers une maison de la via dei Bardi sous prétexte de pillage, mais en réalité pour surprendre au saut du lit et tuer sans rémission le propriétaire de cette maison. Tito cependant n’est pas homme à s’endormir au sein des périls. Le souvenir du mal qu’il a fait, des fraudes auxquelles il doit sa prospérité, ne lui permet pas de se croire à l’abri dans une ville où tant de passions déchaînées ont leur libre cours. Tout est donc préparé pour sa fuite. Un fidèle serviteur a pris les devans avec Tessa et les enfans de Tessa : ils l’attendent dans le Borgho, les mules chargées, le convoi prêt à se mettre en route ; mais entre eux et lui coule l’Àrno, qu’il faut traverser ou sur le Ponte-Vecchio ou sur le pont Rubaconte, qu’il va trouver fermés l’un et l’autre par les sanglans émissaires de Dolfo Spini. Traqué, entouré, pressé de toutes parts, le malheureux s’engage malgré lui, au milieu des cris de mort et des armes levées sur sa tête, dans l’étroit défilé du Ponte-Vecchio. Bientôt