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est le vice secret de plus d’un talent applaudi pour telles qualités charmantes ou éclatantes. La virilité du génie est dans l’âme et dans l’esprit même, elle en est comme la sève essentielle ; c’est de là qu’elle passe dans l’œuvre de l’artiste et dans le style de l’écrivain. Elle leur donne la trempe dont ils ont besoin pour ne pas s’émousser dans le combat que doit soutenir contre l’indifférence, la critique et le temps l’œuvre qui s’expose aux hasards de la publicité. De quoi se compose-t-elle donc ? La reconnaître et la signaler est chose plus facile que de l’analyser. Pourtant on peut dire qu’elle est faite du plus pur de notre énergie : volonté, sentiment, raison. Qu’elle émane plus spécialement d’une de ces trois sources, ou qu’elle leur emprunte une triple vertu, elle existe avant de paraître, et se distingue vite de cette agitation extérieure derrière laquelle on ne rencontre que le vide ou le chaos. Entre la raison et la volonté, le sentiment est le trait d’union magique, le trait de feu qui complète le génie. Les premiers d’entre nos écrivains modernes, malgré leurs défaillances (et n’est-ce pas le sort des plus beaux talens d’en avoir ?), sont justement ceux-là qui, par l’action naturelle d’un sentiment vrai, quel qu’il fût, ont remué les fibres les plus intimes du cœur humain, celles qui vibrent toujours. Et au contraire les partisans violens de l’image, de l’effet théâtral, du bruit, de l’oripeau qu’on appelle antithèse, du masque et des caractères physiques, ont perdu déjà une partie de leur prestige. Il n’est pas question ici d’entrer dans telle ou telle théorie : qu’on se trompe quant aux faits ou aux dogmes, tant religieux que sociaux, le principe du génie est dans l’émotion, et non dans la nature même, dans la tendance de cette émotion. Qu’on chante les doutes du présent et les tristesses de l’humanité souffrante, ou les éclats et les colères de la liberté, qu’on ait les soupirs éloquens de l’élégie, le souffle lyrique ou le cri indigné de la satire ; que dans le roman on réponde avec une âme ardente aux plaintes et aux désirs du siècle en travail, ou que l’on gouverne impérieusement la passion avec une sobre et forte élégance, pour l’enfermer dans un cadre précis en évitant de l’altérer ; que dans la critique celui-là revendique les droits de la pensée et de la vie réelle étouffés sous les draperies de quelques œuvres, ou que celui-ci ressuscite un homme et un âge par mille détails ingénieux, avec une curiosité incessante et passionnée : tout est bon qui porte la marque de ce que Voltaire nommait en pareil cas le démon ; tout est bon qui dénote le sens et l’amour de l’activité morale dans quelqu’une de ses manifestations puissantes.

Il est une autre classe d’écrivains dont le génie est demeuré imparfait et comme atténué par un mélange de fantaisie puérile, bien qu’ils eussent reçu en partage des qualités peu communes ; il serait aisé d’en dresser la liste. Enfin il est plus d’un talent pour qui l’heure de la maturité n’est jamais arrivée et qui s’est arrêté dans une espèce d’adolescence littéraire vouée au culte des bagatelles. Pour nous, il ne s’agit pas d’établir que ces puérilités choquent dans un écrivain en qui plusieurs voudraient voir une manière de chef d’école et de maître, comme l’auteur de Fortunio. La chose va de soi, et il est clair que ces grands mots sont ici hors de saison. Il est clair aussi que le soleil ne se lève pas de ce côté, et que l’avenir est ailleurs. Ce qu’il importe de montrer par un exemple frappant, c’est que les plus habiles