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ambiguë, par quelque démarche plus ou moins énigmatique. En somme, tout marche à souhait jusqu’au jour où Alfred Hardie demande à son père l’autorisation d’épouser Julia Dodd. Un refus formel, sur lequel il ne comptait guère, s’élève tout à coup comme une barrière infranchissable sur le chemin fleuri à la pente duquel il s’abandonnait, les yeux fermés. L’impétueux jeune homme se révolte et se cabre, mais en vain, contre une décision irrévocable, irrévocable du moins jusqu’à sa majorité. Mistress Dodd, profondément blessée, lui interdit l’accès de sa maison et dicte à Julia, comme le font ordinairement en pareille occasion les mères douées de quelque prudence, une ligne de conduite qui a pour but d’imposer silence à la rumeur publique et pour effet naturel d’irriter, d’exaspérer le prétendant éconduit. Docile aux inspirations maternelles, affectant l’indifférence et la gaîté, Julia n’en est pas moins frappée au cœur, et mistress Dodd, qui la voit dépérir à vue d’œil, en vient à se convaincre que le bonheur, la vie de sa fille, sont réellement engagés dans la question. Tout est dit pour elle à partir de ce jour, et, repoussant les conseils de sa dignité blessée, elle, ne songe plus qu’à fléchir l’orgueilleux banquier. Le père d’Alfred lui garde rancune, elle le sait, de l’avoir jadis refusé pour époux ; mais une sorte d’instinct lui révèle que des considérations pécuniaires pourraient balancer en lui ce ressouvenir fâcheux. Si bien assis que soit son crédit, un capital important remis en ses mains et dont le remboursement, exigible chaque jour, pèserait sur lui comme une menace permanente, doit être à ses yeux une considération de premier ordre. Or ce capital est tout trouvé ; c’est celui que le père de Julia va rapporter des Indes. Le hard cash reparaît ici dans toute sa gloire, dominant les passions les mieux enracinées et les volontés les plus tenaces. Mistress Dodd effectivement a calculé juste, plus juste qu’elle ne le croit elle-même. Richard Hardie, dont la réputation de prudence était faite dès sa première jeunesse, et qui avait tenu tête, alors qu’elles troublaient tous les esprits, à ces fièvres de spéculation périodiques en Angleterre, Richard Hardie s’est laissé gagner secrètement par la fameuse railway-mania. Ses principes en apparence sont restés les mêmes, car il sait qu’une partie de son crédit en dépend. C’est sous de faux noms, et par l’entremise de tiers qu’il a compromis, qu’il a perdu des sommes énormes. Luttant depuis quelques mois avec la fortune contraire et débordé peu à peu par les difficultés de chaque jour, il ne maintient qu’à force de mensonges et d’écritures tronquées sa situation commerciale. Il sent néanmoins ses ressources lui échapper l’une après l’autre ; il comprend l’imminence d’une ruiné devenue inévitable, et son unique souci, au moment où nous le rencontrons pour la première