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droit des gens d’après un extrait fait par le comte lui-même des ouvrages de Wolff, Locke, Burlamachi et autres, la morale, la logique et la métaphysique, puis l’« arithmétique, la physique, l’agriculture, le commerce, l’industrie. Bien que le latin soit devenu beaucoup moins nécessaire qu’autrefois, « comme c’est la langue des savans de tous les pays et celle dont on se sert dans les exercices des universités, pour les légendes des médailles, pour les inscriptions des monumens, son altesse royale ne peut se dispenser de l’apprendre… On se flatte d’ailleurs d’assurer ainsi au latin un protecteur qui le préservera de l’oubli dont il semble menacé, au moins en Suède. » Malheureusement, à côté de ce trop riche programme, et de ces belles espérances, nous rencontrons un triste rapport adressé par le nouveau gouverneur au comité des états : « le prince royal est fort inhabile en écriture, en orthographe et en grammaire ; il ne sait à peu près rien eh géographie ; son horreur pour le travail, est invincible ; éloigné de toute sérieuse pensée, de tout religieux sentiment, il a le cœur vide aussi bien que l’esprit. » Voilà ce que Tessin ou plutôt le désordre des temps avait fait de cette éducation royale ; Scheffer, homme de cour et esprit léger, comme son prédécesseur, ne devait pas, pendant les six années qu’il passa auprès de Gustave, réparer entièrement le mal déjà commis. La déplorable anarchie de la Suède, après avoir exercé une funeste influence sur l’éducation de Gustave III, acheva de compromettre son avenir en imposant au jeune prince un mariage qui ne lui procura jamais aucun bonheur privé. Les chefs du parti des chapeaux l’avaient fiancé en 1754, lorsqu’il n’avait encore que huit ans, à la princesse Sophie-Madeleine, fille du roi Frédéric V de Danemark. Ils voulaient, par cette union des deux maisons royales, séparer le Danemark de la Russie et le ramener vers eux ; mais les haines qui divisaient depuis si longtemps les peuples du Nord étaient encore trop vives pour s’éteindre si aisément, et le cabinet de Copenhague était plus que jamais soupçonné, à bon droit, nous le savons, de vouloir tirer profit des agitations intérieures d’un pays rival[1]. Le mariage s’accomplit cependant en 1766 malgré le roi et la reine de Suède, qui avaient été à peine consultés. Louise-Ulrique en manifesta une irritation que les années ne firent qu’augmenter sans cesse, et Gustave lui-même, sur qui la reine sa mère exerça toujours un grand ascendant, ne sut ni se refuser à des liens détestés ni oublier de funestes préventions ; il négligea de recueillir ce qu’une épouse fort timide, entourée d’inimitiés et de soupçons, mais inoffensive

  1. Voyez le premier article de cette série, où nous avons démontré la complicité du Danemark avec la Russie et la Prusse dans le projet de démembrer la Suède aussi bien que la Pologne (Revue du 15 février).