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laquelle tu t’étais prise de si folle passion pendant notre séjour à Vannes ?

— Oui, répondis-je, je la vois encore.

— Et la lande qui s’étend tout alentour, et le maigre ruisseau qui parfois s’égare au milieu du sentier ?

— Oui, je me souviens. J’aimais l’air triste et recueilli de ce pauvre logis.

— Eh bien ! s’écria Louise en frappant joyeusement dans ses mains, ta chère maisonnette, la voilà ! Je te l’apporte avec son petit jardin de curé qui avait fait ta conquête ; elle est dans ce rouleau de papiers. Mon père s’est adressé au propriétaire, qui a consenti à la lui vendre. Qu’en pouvait-il faire ?… Un vrai nid à rêves !… C’est bon pour une tête romanesque comme la nôtre. Quel bonheur, n’est-ce pas ? quand j’irai avec Robert te visiter dans ton domaine ! Tu nous en feras les honneurs avec cette grâce de reine qui vous distingue, mademoiselle… Ah ! je voudrais être déjà mariée ! — Et sais-tu ? ajouta-t-elle d’un ton de confidence, je crois que cela ne tardera guère ; mon père me disait hier qu’il désirait que ce fût fait avant l’été.

Je froissai les papiers épars sur mon lit.

— Oh ! tout est bien en règle, continua-t-elle croyant que je voulais les lire. Voilà les titres de vos propriétés, mademoiselle… Embrasse-moi donc, Madeleine ; dis-moi que cela te fait plaisir, dis-moi que tu m’aimes. Oh ! moi, je t’adore, vois-tu ; je voudrais que tu fusses heureuse,… heureuse comme moi, mon amie !

Je serrai contre moi sa jolie tête en pleurant ; mais cette fois mes larmes ne l’inquiétèrent pas, elle les attribuait à la joie.

— Louise, dis-je tout à coup en la regardant fixement comme pour lire au fond de son âme, il y a une idée, une folie, quelque chose qui m’obsède. Il faut que tu m’aides à sortir de cette angoisse. Songe bien qu’il y va du bonheur de ma vie, de la tienne aussi. Réfléchis avant de répondre.

— Tu m’effraies ! s’écria-t-elle en essayant de fuir mon regard ; mais je la retins fortement.

— Louise, repris-je d’une voix grave, es-tu bien sûre d’aimer Robert ?

Elle resta interdite, cherchant à deviner où j’en voulais venir.

— Pourquoi me demander cela ? Ne le sais-tu pas comme je le sais moi-même ? Ne te l’ai-je pas dit mille fois ? — Si je l’aime !… oh ! de toute mon âme ! À quoi bon cette question, cet air solennel ?


Elle me regardait à son tour avec de grands yeux brillans d’inquiétude. — Qu’as —tu à m’apprendre ? parle !… Est-il malade ? Sais-tu quelque chose ?… Crois-tu donc qu’il ne m’aime pas, lui ?