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LE PÉCHÉ DE MADELEINE.

repousser : mes efforts ne servirent, comme il arrive d’ordinaire, qu’à leur donner plus de prise sur mon imagination ébranlée ; bientôt je n’y pus tenir, et la tête en feu, la poitrine oppressée, je pris à la hâte un chapeau, et, m’enveloppant d’un châle, je sortis. Je marchai droit devant moi, rapidement, sans rien voir ; peu à peu l’air et le mouvement rafraîchirent mon front : le bouillonnement intérieur se calma dans mes veines. J’étais sur d’immenses avenues plantées d’arbres séculaires, entourant comme d’une ceinture une vaste prairie, dont l’extrémité se perdait au loin dans la campagne. Le vent, plus humide que froid, détachait les larges feuilles des platanes et les roulait devant moi en soulevant des tourbillons de poussière. Au ciel, de grands nuages noirs couraient, rapidement emportés. Ces longues avenues étaient désertes, et cette solitude me plut ; je ralentis un peu ma course. Le jour baissait, je ne le remarquais point, et, quand je m’en aperçus, il y avait longtemps déjà que j’avais quitté l’hôtel. Je voulus revenir sur mes pas ; mais je ne pus retrouver mon chemin, et, marchant toujours, j’arrivai sur le port.

La marée montait ; elle refoulait la rivière, qui se gonflait en soulevant les vaisseaux à l’ancre ; de petites vagues bruyantes clapotaient contre les murs du quai. Je restai à les considérer longuement ; l’eau noire reflétait la lueur terne des réverbères et la lumière rouge des feux de charbon allumés sur les navires. Je voyais tout autour les matelots s’agiter comme des ombres. Nul ne s’occupait de moi, nul ne semblait me voir. Le ciel se couvrait de plus en plus, et l’obscurité devenait complète. À mesure que le jour baissait, mes pensées s’amoncelaient en orages. Je regardais alternativement le ciel, qui semblait se dérober sous les brumes, et l’eau noire et profonde du canal. — Fermer les yeux, pensais-je, et marcher en avant, tout droit, deux pas, trois au plus, puis disparaître pour toujours ! et trouver le repos peut-être !… Qui sait ?… Nul n’entendrait plus parler de moi. Une malheureuse qui se noie, c’est vulgaire et triste ; mais se sauver avec un amant, est-ce moins triste et moins vulgaire ?… Il souffrirait, lui, je le sais : du moins je ne le verrais plus souffrir ; d’ailleurs les regrets sont-ils éternels ? Il est jeune ; la vie est longue… Mais le repos est-il là en effet, sous cette eau froide ? Est-il vrai que nous ayons ainsi, à portée de notre volonté, un remède à tous nos maux, un refuge assuré contre le remords et la responsabilité de nos actes ? Oh ! si je savais que rien de moi ne dût survivre ! Je l’ai entendu affirmer autrefois : comment se fait-il que je n’y peux croire ? Quelle est donc cette partie de mon être qui proteste contre le néant, comme elle protestait hier, tout à l’heure encore, contre ma vie criminelle ? Est-ce que la chair doit s’élever contre les œuvres de la chair ? Est-ce qu’elle doit re-