Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 50.djvu/306

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
302
REVUE DES DEUX MONDES.

et un peu après une autre cloche, plus éloignée, répétant le signal. Je ne sais combien de temps je restai là, fi’émissante et n’entendant que les battemens de mon cœur. Enfin le bruit d’une porte tout près de moi me fit tourner la tête vers une double grille noire qui coupait en deux parties la petite pièce où j’étais. Derrière cette grille, j’entendis le frôlement d’une robe sur les dalles ; une clé grinça dans une serrure, et les lourds volets qui garnissaient la grille à l’intérieur s’ébranlèrent et se replièrent lentement. Une femme vêtue d’une tunique de laine blanche et d’un voile noir m’apparut à travers les étroits barreaux, et se tint debout devant moi, sans parler. Alors, sous l’empire de cette puissance inconnue à laquelle j’obéissais malgré moi, je lui racontai ma triste histoire, cette tentation de mourir qui m’obsédait, et le hasard qui m’avait conduite dans cette demeure, et qui me poussait encore en ce moment à lui demander conseil. Elle m’écouta sans m’interrompre.

— Dieu vous cherche, ma fille, dit-elle quand j’eus fini. Écoutez-le, abdiquez à ses pieds cette liberté dont vous avez fait un si mauvais usage ; donnez-vous à lui, mais librement, non par surprise. Allez et méditez ; quand votre résolution sera prise, vous viendrez, et notre maison vous sera ouverte.

— Si je pars, je sais que je ne reviendrai pas, m’écriai-je en me mettant à genoux au pied de la grille. Ma mère, décidez pour moi : je suis faible, car j’aime. Je sens mon cœur qui m’échappe, retenez-moi. Fermez vos grilles sur celle qui doit disparaître du monde… Qui sait si je rencontrerai jamais une heure comme celle-ci ?

Je la priais, elle méditait sans répondre, et j’espérais lâchement qu’elle ne me garderait pas. À la fin, elle céda. — Souvenez-vous, dit-elle, que vous serez libre de sortir le jour où vous le voudrez.

— Et remarquant ma pâleur : — Pauvre fille, ajouta-t-elle doucement, vous avez raison de venir à nous, personne ne vous réclame, et vous êtes pour tous une occasion de chute et de scandale. — Elle me demanda alors si je n’avais aucun adieu à faire ; je lui sus gré de cette pensée, et je traçai d’une main défaillante les lignes qui suivent.


Ceci est mon testament.

« Je vous lègue Louise à consoler.

« Je vous ai trop aimé, Robert : cet amour a été notre malheur à tous. Vous avez bien souffert à cause de moi, pauvre ami, et souvent je me suis maudite en vous voyant si triste et si pâle. Pardonnez-moi le mal que je vous ai fait et celui que je vais encore vous faire. Je n’avais plus la force de vivre ainsi ; les larmes de Louise m’étouffaient.

« J’ai tenté le sublime et j’ai échoué misérablement ; j’ai été un