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échappé à tant de périlleuses influences. Et cet homme est le Grec ; il parle la langue des Hellènes, la race la plus anciennement civilisée de l’Occident ; il en a conservé le génie et les usages. Par quel étrange phénomène se montre-t-il aujourd’hui, malgré tous les défauts qu’on peut lui reprocher, non-seulement supérieur aux maîtres qui l’ont tenu depuis quatre siècles sous leur férule, mais comme régénéré dans les souffrances de la persécution et de l’esclavage, et relevé en grande partie de l’état de dégradation où il était tombé sous la domination romaine, puis dans les siècles de l’empire byzantin ?


III

On ne saurait condamner une nation tout entière sur la conduite de deux ou trois cents hommes qui font métier d’intrigues politiques, et qui sont à l’intérieur la plaie du pays autant qu’ils lui nuisent dans l’opinion de l’extérieur. Ces hommes n’ont d’autre pensée que de renverser leurs rivaux et de saisir le pouvoir pour en savourer les jouissances d’amour-propre et les avantages matériels. Le gouvernement qui voudra résolument s’appuyer sur le peuple grec pour mettre fin à leur règne aura une force immense et les brisera sans rémission. D’ailleurs, pour juger équitablement ce qu’on appelle la classe politique de la Grèce et ses vices, il est nécessaire de tenir compte de trois faits : le petit nombre d’années qui se sont écoulées depuis que l’état hellénique jouit d’une vie indépendante, la conduite qu’ont tenue depuis cette époque dans les affaires intérieures du pays les trois puissances protectrices, enfin la nature du gouvernement qui a présidé pendant trente ans aux destinées de la Grèce.

Il faut que, malgré tout ce qu’on dit et ce qu’on écrit sur les Grecs, on ait d’eux en Occident une bien haute idée, puisqu’on s’étonne toujours qu’un peu plus d’un quart de siècle après être sortis du plus dur esclavage auquel nation puisse être soumise, ils n’aient pas encore la sagesse, l’expérience et la moralité politique des peuples qui depuis une longue suite de générations vivent de la vie indépendante et civilisée. En leur demandant pareille chose, on demande tout simplement aux Hellènes d’être le premier peuple du monde. Nous ne saurions, pour notre part, être aussi exigeant. Une nation esclave peut trouver dans son désespoir, dans sa foi, dans son patriotisme, les vertus héroïques qui servent au jour des combats, briser ses fers et chasser l’étranger : de 1821 à 1830, la Grèce en a fourni au monde un admirable exemple, que l’on a trop vite oublié ; mais il faut aux esclaves pour régler leur liberté, pour apprendre à en user avec la sagesse des hommes libres de naissance,