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vient d’abord toucher terre à l’est du cap de Cornouaille, où un détachement tourne vers le nord, du côté de Saint-Ives, tandis que le corps d’armée passe entre les îles Scilly et le Land’s End et pénètre dans le canal, suivant les ondulations de la côte aussi loin que Bigbury-Bay et Start-Point. Leur ordre de marche se trouve plus d’une fois modifié par les courans ou par l’état de l’atmosphère : tout à coup ils paraissent s’évanouir ; mais bientôt ils reviennent et s’approchent de la côte avec des forces imposantes, — des myriades d’êtres vivans poussées par des myriades. Tel est le nombre prodigieux de ces poissons que la mer en change de couleur ; l’eau bout et saute, disent les pêcheurs, comme si elle chauffait au feu dans un chaudron. Le passage de ces bataillons sous-marins communique à la surface des vagues, surtout pendant la nuit, une clarté phosphorescente que les uns comparent à une montagne d’argent, les autres à une lumière liquide, de même que si la lune s’était fondue et dissoute dans la masse des eaux. Des navires à voile ont été arrêtés ou contrariés dans leur marche par ces bancs de pilchards s’étendant sur une surface carrée de sept ou huit milles, et s’enfonçant à une profondeur de deux milles dans la mer troublée. On dit alors que les eaux vivent, tant elles palpitent sous cette masse compacte de créatures animées qui la traversent, toutes chargées d’écailles et d’étincelles.

Au moment où je me trouvais à Newlyn, c’est-à-dire vers le commencement de septembre, la pêche était en pleine vigueur. Cette pêche du pilchard avait été mauvaise à Mount’s-Bay depuis sept années ; mais elle s’annonçait en 1863 sous des auspices beaucoup plus favorables, et depuis une semaine on avait pris beaucoup de poissons. Les femmes des pêcheurs me faisaient remarquer la surface de la baie zébrée de bandes rougeâtres et mouvantes qui indiquent, selon elles, la présence des bancs de pilchards. Cette pêche exige trois sortes d’approvisionnemens : les bateaux et les filets, qui constituent l’équipement de mer, et le cellier à poisson (fish cellar) qui se trouve toujours sur le rivage. Il y a dans Mount’s-Bay environ deux cent cinquante smacks de douze à vingt-deux tonneaux. Chacune de ces barques coûte, avec tous les accessoires, près de 450 livres sterling. L’équipage se compose de quatre ou cinq hommes et d’un mousse. La forme de ces bâtimens, peints en noir, sveltes et bons voiliers, n’a d’ailleurs rien de remarquable.

Les filets présentent deux variétés bien tranchées, correspondant à deux systèmes de pêche tout différens, le drift net et la seine. On se sert plus volontiers du premier dans les temps agités, et du second dans les temps calmes : cela dépend de la saison, de la profondeur des eaux et de l’éloignement des côtes. Comme le drift