Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 50.djvu/440

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Sfakiotes, à la condition de les laisser tranquilles chez eux et de ne guère leur imposer qu’un hommage de pure forme et un tribut insignifiant. En temps de guerre, ils savaient utiliser leur humeur belliqueuse et leur amour du butin ; ils en formaient des bataillons qui, encouragés par, une haute paie, étaient employés avec succès contre les Turcs. Ils eurent beaucoup de peine à faire quitter aux Crétois l’arc, leur arme antique et familière, pour leur faire prendre l’arquebuse. Les succès que quelques Grecs obtinrent à la chasse en se servant d’armes à feu tentèrent les autres, qui en demandèrent à la seigneurie ; des commissaires vénitiens envoyés dans l’île en 1586 pour en étudier la situation, et dont M. Pashley a publié le remarquable rapport, distribuèrent un certain nombre de fusils à ceux des sujets qu’ils croyaient fidèles. Pourtant l’usage de l’arc ne disparut point de sitôt ; en 1596, un autre inspecteur vénitien, Foscarini, écrit en parlant des Sfakiotes : « Ils vont toujours avec l’arc sur les épaules et avec un carquois attaché au flanc, carquois plein de flèches, qu’ils excellent à lancer au but ; beaucoup d’entre eux aussi sont d’excellens arquebusiers. » Soixante ans plus tard, dans les relations du siège de Candie, il est encore souvent question de blessures faites avec l’arc, et l’arsenal de cette ville contient, comme nous l’avons dit, des provisions de flèches qui remontent à cette époque.

Un des commissaires vénitiens de 1586 avait été très frappé du caractère et de l’attitude des Sfakiotes. « C’est, dit-il, une population plus courageuse que celle du reste de l’île. Ce qui lui donne cette supériorité, c’est, avec son tempérament et avec la nature du pays qu’elle habite, la conviction qu’elle a de descendre des Romains. Tout cela lui inspire je ne sais quoi de généreux dans ses actions que l’on ne trouve pas chez les autres Crétois. Les Sfakiotes dans le principe ne se soumirent pas, comme le reste de leurs concitoyens, au joug des cavaliers de Venise ; soit que leur farouche bravoure ait arrêté les conquérans, soit que la stérilité de leur pays les ait rebutés, ils ne sont jamais tombés aux mains de cet ordre des seigneurs, si abhorré dans tout le duché… Certainement, n’était que le territoire de Sfakia n’est pas habité tout entier par des familles également jalouses de l’insolente gloire de désobéir, et que les Sfakiotes ne sont pas unis entre eux, il serait très difficile de les contenir. »

Les Sfakiotes, en dépit des démêlés qu’ils avaient souvent avec les Vénitiens, ayant peu à souffrir de la domination étrangère, semblent ne pas s’être joints aux autres indigènes pour appeler les Turcs, mais avoir au contraire, autant qu’il était en eux, résisté à la conquête musulmane. Dans les premières années de la guerre de Candie, les Sfakiotes firent sentir rudement leur valeur aux Turcs,