Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 50.djvu/529

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— Mon Dieu, dit en soupirant Déodat, tout le monde me repousse et me rejette parce que je suis chrétien!

— Eh bien! répondit une voix, cesse de l’être...

Déodat se retourna brusquement; il avait devant lui le chef des desservans de la pagode, un sacrificateur ou pourohita vénéré parmi le peuple, et considéré parmi ses collègues à cause de sa grande science.


III. LE POUROHITA.

C’était sans le vouloir, sans en avoir conscience que Déodat avait prononcé à haute voix ces paroles amères : « tout le monde me repousse parce que je suis chrétien! » Il resta donc comme interdit en entendant la réponse que lui faisait le pourohita. Celui-ci avait vu de loin la petite scène qui venait de se passer; la physionomie intelligente et les traits finement dessinés de Déodat avaient attiré son attention.

— Voyons, lui dit-il avec un accent de bonhomie, par quel hasard es-tu chrétien? D’abord quel est ton nom?

— Je me nomme Dévadatta, répliqua le jeune homme, traduisant en sanscrit son nom de baptême afin de ne pas effaroucher le brahmane.... Si je suis chrétien, c’est par hasard... Un prêtre étranger m’a recueilli orphelin...

— Il t’a volé sur quelque route déserte...

— On m’a raconté que je portais sur l’épaule le cordon d’investiture, et que je suis le fils d’un brahmane... Voilà tout ce que je puis dire, n’ayant jamais su le nom de mes parens. Le prêtre qui m’a élevé me traite comme un fils ; il est malade à la chauderie, et je me hâte de retourner à ses côtés.

— Très bien, dit le pourohita, notre loi enseigne aussi qu’il faut avoir pour son précepteur spirituel les mêmes égards que l’on doit à un père... Va, je t’accompagnerai jusqu’à la porte de la chauderie...

Ils firent ensemble quelques pas sans rien dire. Déodat se trouvait mal à l’aise avec ce brahmane, à la parole sentencieuse, qui tenait ses regards attachés sur lui comme s’il eût voulu pénétrer ses plus intimes pensées. Après un court silence, le pourohita reprit : — Quelle vie mènes-tu avec ton padre?

— Une vie simple et austère...

— Tu es confondu avec des gens de basse caste ; il règne parmi vous une égalité honteuse... Fils de brahmane, n’as-tu donc jamais entendu répéter cette formule : l’univers est soumis aux dieux, les dieux sont soumis aux invocations magiques, les invocations magiques appartiennent aux brahmanes, donc les brahmanes sont des