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fonctions du royaume, ne pouvait attendre ni surcroît de crédit, ni surplus d’honneur des campagnes commandées contre le brigandage, n’en a pas moins accepté la peine et le souci, le travail incessant, l’énorme responsabilité de cette humble mission, et la remplit avec une infatigable abnégation, qu’il a su communiquer jusqu’aux derniers rangs de son armée. Sous lui, les généraux Villarey, Reccagni, Mazé de La Roche, Avenati, Sirtori, Franzini, Pallavicino, se multiplient modestement dans d’innombrables expéditions.

Un seul épisode suffira pour montrer comment savent agir les soldats italiens aux prises avec les brigands. C’était en 1862, le 6 avril; deux cents bandits environ, ramassés dans les états romains, ayant passé les frontières à l’improviste, étaient tombés sur le petit village de Luco, au bord du lac Fucin. La garnison se composait de vingt soldats de ligne, dont cinq étaient absens; le sergent qui les commandait se barricada dans la caserne. Survinrent les brigands, qui leur crièrent de se rendre. Le sergent répondit : « Venez nous prendre! » Aussitôt la porte fut attaquée; mais elle résista aux coups de fusil comme aux coups de hache. Les brigands montèrent alors sur le toit et enlevèrent les tuiles, puis, par une brèche, ils jetèrent des fascines allumées dans la caserne. La fumée devint étouffante, le toit flamba; les soldats, invités à faire leur soumission, ne répondaient qu’en tirant sur leurs adversaires, sachant qu’ils allaient mourir. Le combat dura trois heures; le toit brûlant allait crouler sur les assiégés, quand arriva une patrouille sortie du village voisin de Trasacco. Le caporal qui la conduisait s’était, au bruit de la fusillade, dirigé vers Luco, et, avant d’y entrer, avait demandé ce qui s’y passait; on lui avait dit que quinze soldats attaqués par des milliers de brigands allaient être brûlés vivans dans une caserne. Alors il s’était tourné vers ses hommes en leur demandant: — Allons-nous? — Allons! avaient répondu ces braves, et au cri de « Savoie! » ils étaient entrés dans le village. Les sentinelles des brigands, frappées de stupeur, donnèrent l’alarme ; ceux qui étaient sur le toit roulèrent dans la rue, ceux qui étaient devant la caserne s’enfuirent dans la campagne, et tous pêle-mêle, chassés dans tous les sens, jetant derrière eux leurs fusils et leur butin, se précipitèrent au hasard. Les quinze soldats délivrés se mirent à les poursuivre. La bande dispersée et décimée ne repassa plus jamais les frontières; l’homme qui la commandait, lieutenant de Chiavone, fut pris et fusillé; Chiavone lui-même ne se montra plus nulle part depuis lors : tout cela grâce à un coup d’audace tenté par une patrouille qui passait d’aventure près de Luco, et cette patrouille se composait de cinq hommes!