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et que le Brésil lui-même envie à Madagascar ; mais nous ne pûmes, ni cette fois ni en d’autres occasions, rencontrer au milieu des lacs non-seulement aucun caïman, cet ignoble reptile qui excite toujours la curiosité du touriste, mais même ce polype gélatineux, transparent, particulier aux lacs d’Ivondrou, qui flotte presque invisible dans l’eau, s’attachant quelquefois à la peau de l’homme ou des animaux comme une ceinture de Nessus qui les brûle et les tue. Aller à Ivondrou sans voir ni caïman ni polype, c’était aller à Rome sans voir le pape, comme dit si bien le proverbe. Peut-être aussi le polype gélatineux est-il un animal légendaire, mais il n’en est pas de même des caïmans, dont les hommes et les bœufs ont si grand’peur à Madagascar. Les bœufs, prévenus par leur instinct, ne traversent jamais les lacs sans faire grand bruit en nageant, pour écarter ainsi l’ennemi.

Si sur les lacs les caïmans affamés et les polypes aux ventouses mortelles s’obstinèrent à se cacher à nos regards, dans les bois nous ne fûmes guère plus favorisés, et nous ne vîmes ni le tenrec au des épineux comme celui du hérisson, ni l’aye-aye nocturne, sorte de singe rongeur au cri perçant, aux yeux de lynx, aux griffes cruelles, ni les makes frileuses, au museau de chien, au pelage fourni, qui vont par compagnies dans les grands arbres, debout sur leurs pattes de derrière, la queue en trompette comme les écureuils ou roulée autour de leur cou. Ces gracieux quadrumanes affectent alors cet air de douce mélancolie qui les caractérise, étalant paresseusement au soleil leur robe proprette et leur queue bariolée aux anneaux noirs et blancs. Dans les forêts de l’intérieur, outre les makes, on rencontre les babakoutes et les simepounes velus, qui font la nuit retentir les échos de cris lamentables pareils à des vagissemens d’enfans, et tous ensemble représentent la famille des lémuriens, remplaçant ici les singes, comme l’êpiornis, aujourd’hui disparu et dont on ne retrouve plus que les œufs enfouis dans les sables des rivières, représentait jadis l’autruche sur la terre de Madagascar. La grande île africaine sur laquelle un illustre écrivain que les sciences naturelles ont quelque droit de réclamer, George Sand, a écrit de si belles pages dans ses Lettres d’un voyageur[1], forme comme l’Australie un foyer distinct de création. « La nature, suivant les paroles mêmes de Commerson dans sa lettre à Lalande sur Madagascar, semble s’y être retirée comme dans un sanctuaire particulier, pour y travailler sur d’autres modèles que ceux auxquels elle s’est asservie dans d’autres contrées. »

Aucun des habitans si intéressans des forêts madécasses, lému-

  1. Voyez la lettre à Éverard dans la Revue du 15 juin 1835.