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riens, aye-aye ou tenrecs, ne devait donc se montrer à nous dans nos courses rapides et nous laisser étudier sur le vif des mœurs si différentes de celles des animaux que nous connaissions jusque-là. Dans nos chasses au milieu des bois, dans nos courses à travers les prés, foulant les hautes herbes ou le sol vacillant des tourbières, nous fûmes au moins plus heureux, et plus d’une fois nos guides épouvantés nous montrèrent quelques-unes de ces araignées hideuses particulières au pays, le menavoude et le fonque, deux arachnides malfaisantes dont la morsure peut donner la mort. Ce sont du reste les seuls animaux nuisibles de la grande île, qui ne renferme, malgré sa position tropicale et si voisine de l’Afrique, ni tigres, ni lions, ni serpens venimeux.

Cependant nos rameurs continuaient à pagayer en cadence, chantant de gais refrains, et nos pirogues, à la file les unes des autres, glissaient sur le lac, y traçant un sillage rectiligne dont la rapidité de notre course nous empêchait de voir la fin. Bientôt nous débarquâmes à Ambavarane, où le chef du pays, vêtu mi-partie à l’européenne, mi-partie à la mode malgache, c’est-à-dire couvert à la fois du haut-de-chausses et du lamba, vint nous offrir du riz et des poules dans la maison royale. C’est une modeste cahute qui existe dans chaque village et où les voyageurs de passage ont le droit de s’installer au nom du gouvernement. Il est d’usage aussi que le chef de l’endroit vienne faire des présens aux étrangers en prononçant la formule consacrée que c’est le cœur qui donne et c’est la main qui offre. Nous répondîmes à ces gracieuses paroles par un autre présent : des aiguilles anglaises, des épingles, des hameçons furent acceptés avec joie; nous y joignîmes une pièce de 5 francs qui ne fut pas non plus dédaignée, et nous trouvâmes dans le chef d’Ambavarane, qui écorchait quelques mots de français, un sincère et reconnaissant ami. Au lieu de donner simplement du riz et des poules, il aurait bien voulu offrir un bœuf tout entier; mais les temps étaient si durs, les affaires allaient si mal! Il n’en était pas moins heureux d’avoir fait la connaissance de ces blancs illustres qui daignaient un moment s’arrêter dans son village. Il ferait connaître ce grand événement aux officiers de la reine et à la reine elle-même, s’il était appelé à Tananarive; il nous priait à son tour de parler de lui dans notre pays, et de le citer dans nos récits de voyage quand nous aurions repassé les mers.

L’usage veut qu’un speech soit toujours prononcé dans ces occasions, et l’on voit que le chef d’Ambavarane, comme du reste tous les Malgaches de quelque distinction, usait assez bien de la parole. Après le discours vinrent les divertissemens, et dès le soir la place du village fut en notre honneur le théâtre de bruyantes démonstra-