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réclamaient si ardemment l’air de la liberté n’étaient pas incapables de vivre et même de se plaire dans une atmosphère bien différente. Pour Lacordaire, ce n’était nullement un rôle, c’était l’inclination franche et ingénue de son esprit. La liberté religieuse qu’il revendiquait n’excluait dans sa pensée ni les libertés civiles ni les libertés politiques : elle les complétait au contraire, elle n’avait rien d’égoïste, d’exclusif ou de secrètement hostile. « Quiconque, dit-il un jour d’un accent hardi et généreux, quiconque excepte un seul homme dans la réclamation du droit, quiconque consent à la servitude d’un seul homme, blanc ou noir, ne fût-ce même que par un cheveu de sa tête injustement lié, celui-là n’est pas un homme sincère et ne mérite pas de combattre pour la cause sacrée du genre humain. La conscience publique repoussera toujours l’homme qui demande une liberté exclusive, ou même insouciante du droit d’autrui, car la liberté exclusive n’est qu’un privilège, et la liberté insouciante des autres n’est plus qu’une trahison... Oui, catholiques, entendez-le bien, si vous voulez la liberté pour vous, il vous faut la vouloir pour tous les hommes et sous tous les cieux. Si vous ne la demandez que pour vous, on ne vous l’accordera jamais. Donnez-la où vous êtes les maîtres, afin qu’on vous la donne où vous êtes les esclaves. » Là où d’autres s’efforcent de mettre à nu les plaies et les misères du temps présent, pour maudire la civilisation elle-même, lui, il se plaît à montrer le côté ascendant et providentiel du siècle, le progrès visible et incessant. Là où certains esprits mettent tout leur zèle à resserrer le cercle de l’orthodoxie, à proscrire la moindre indépendance, et consentiraient à voir l’océan devenir un filet d’eau, « pourvu qu’il fût pur, » selon un mot de Mme Schwetchine, lui, il veut élargir le cercle. L’océan, à ses yeux, n’est l’océan que parce qu’il « reçoit toutes les eaux qui se penchent vers lui. » La pureté de la doctrine ne s’achète pas au prix de l’immolation de toutes les pensées. « Le mouvement du vrai chrétien, écrit-il à Mme Swetchine en la réfutant, est de chercher la vérité et non l’erreur dans une doctrine, et de faire tous ses efforts pour l’y trouver, tous ses efforts jusqu’au sang, comme on cueille une rose à travers les épines. Celui qui fait bon marché de la pensée d’un homme, d’un homme sincère, celui-là est un pharisien, la seule race d’hommes qui ait été maudite par Jésus-Christ. Celui qui dit d’un homme travaillant, à ce qu’il croit, pour la gloire de Dieu : « Qu’importe un homme? Est-ce que Dieu a besoin de gens d’esprit? » celui-là est un pharisien : il enlève la clé de la science, dit Jésus-Christ, il n’entre pas, et il empêche les autres d’entrer... » Et, comme pour compléter sa pensée par une application personnelle, il écrit un autre jour à Mme Schwetchine : « Si j’ai repoussé constamment M..., c’est parce qu’il a été et qu’il est le persécuteur à outrance de tous les