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inventif du jeune chef qu’il devinait en lui le grand capitaine et l’annonçait à la France. Ouvrez le Polybe du chevalier Folard, parcourez ce long commentaire, qui n’est pas seulement l’explication du texte, mais une causerie sans fin sur l’art de la guerre; vous trouverez ces paroles à propos du fusil : « Il faut exercer les troupes à tirer selon la méthode que le comte de Saxe a introduite dans son régiment, méthode dont je fais un très grand cas, ainsi que de son inventeur, qui est un des plus beaux génies pour la guerre que j’aie connus, et l’on verra à la première guerre que je ne me trompe pas dans ce que j’en pense. » Folard parlait ainsi vers 1725; ne fallait-il pas que le génie de l’action éclatât singulièrement chez le jeune comte au milieu des dissipations de la régence pour qu’un tel juge, un juge si habile, mais encore plus prudent qu’avisé, saluât ainsi d’avance l’homme de Prague et de Fontenoy? Un trait curieux de cette prédiction, si complètement réalisée plus tard, c’est la certitude de l’accent sur les lèvres du tacticien diplomate.

Elles étaient bien vives pourtant, et parfois bien étranges, les dissipations du comte Maurice. Comme on voit que l’inaction lui pèse! Presque toutes les lettres envoyées de Paris à Dresde par les correspondans du roi ou de ses ministres font allusion à ses escapades. Un jour, à l’une de ces lettres, signée du nom de Hoym, M. de Manteuffel répond par ces mots : « Je vous prie de faire mes complimens à M. le comte de Saxe et de le féliciter sur ses heureuses aventures. Je reçois de temps en temps une espèce de gazette, souvent assez curieuse, où j’ai trouvé plusieurs jolis traits sur son sujet. » Ces gazettes n’étaient pas toujours très exactes. La chronique parisienne, à laquelle il fournissait tant de matière, lui attribuait volontiers des événemens où il n’avait aucune part. Un soir, dans la nuit du 24 au 25 décembre 1721, le prince de Conti, qui était fort jaloux de la princesse, bien que le point d’honneur en pareille matière parût un préjugé gothique aux raffinés de ce temps-là, entra subitement dans la chambre de la princesse, tenant d’une main son épée, de l’autre un pistolet. La dame, répondant à l’outrage par un outrage plus sanglant encore : « Pourquoi ce bruit? dit-elle avec une froideur méprisante. Si vous aviez pensé qu’il y eût un homme chez moi, vous vous seriez bien gardé d’y paraître. » Le lendemain, elle quittait l’hôtel du prince, et ce scandale occupait tout Paris. Or les gazettes mystérieuses dont parle M. de Manteuffel voulaient absolument que Maurice de Saxe eût joué un rôle dans cette histoire. Le bruit courut qu’il avait été surpris chez la princesse : le prince l’avait tué, disaient les uns; il n’était que blessé, mais blessé grièvement, disaient les autres. Par une coïncidence singulière qui sembla d’abord plus que suspecte, il se trouva